Abdallah le cruel
avec lui et c’est ainsi que mon fils, qui me succédera un
jour, a pu regagner discrètement notre ville et m’apporter la confirmation de
ce que j’avais toujours pensé. Nul parmi vous ne sera assez fou pour mettre en
cause les paroles du gaon de Sura. Je tiens d’ailleurs sa lettre à votre
disposition et ceux qui ont correspondu avec lui pourront authentifier son
écriture. J’ordonne que chacun d’entre vous s’abstienne désormais de fréquenter
un imposteur dont les agissements sont de nature à nuire gravement à notre
communauté. Fort heureusement, Mohammad al-Razi, ému par la détresse de Jacob,
a parlé en notre faveur à l’émir et celui-ci m’a fait savoir qu’il vous
pardonnait votre égarement à condition que vous suiviez mes recommandations.
Bénissez le ciel que les choses se terminent ainsi !
Les fidèles, abasourdis, éclatèrent
en sanglots et cherchèrent du regard Eldad le Danite qui se trouvait dans la
synagogue au début de l’office. Dès les premiers mots du rabbin, il s’était
esquivé discrètement. Les plus excités, en fait ceux qui l’avaient toujours
soutenu, se précipitèrent à son domicile. La maison était déjà vide. Des
voisins affirmèrent que son occupant, l’air hagard et désemparé, avait chargé
sur des mules ses coffres et avait quitté Kurtuba par la porte du Pont.
Quelques jours plus tard, des voyageurs affirmèrent l’avoir rencontré à
al-Mariya où il s’était embarqué pour l’Orient.
Chapitre III
Dès l’arrivée des premières chaleurs,
l’émir Mohammad s’était retiré à al-Rusafa, la résidence bâtie par Abd
al-Rahman I er , dont il appréciait la fraîcheur des jardins.
Contrairement aux autres années, il ne consacrait pas ses journées à la chasse.
Son médecin, Ibrahim al-Utbi, lui avait interdit de monter à cheval et il
n’avait pu se résoudre à suivre en litière ses fauconniers. Reclus dans ses
appartements, il enrageait d’autant plus que ce soi-disant savant lui imposait
un sévère régime alimentaire. Il n’avait plus droit aux pâtisseries sucrées
dégoulinantes de miel qu’il affectionnait. Le monarque se sentait las, très
las. De plus en plus fréquemment, il lui arrivait de se réveiller en sursaut la
nuit, le front trempé de sueur et la tête embuée par les cauchemars qui le
tourmentaient. Le grand eunuque, qui se tenait dans une pièce adjacente,
faisait alors appeler la favorite du moment, Khadija, une esclave grecque
ramenée d’Orient par Mohammad al-Razi. D’une rare beauté, cette jeune femme
était réputée tout autant pour ses talents de chanteuse que pour l’habileté de
ses caresses. Elle s’était vite fait détester de ses compagnes qui ne
supportaient pas ses caprices. Jalouse de ses prérogatives, elle perdit toute
prudence et fit verser à deux de ses rivales un breuvage empoisonné. Le
scandale fut tel qu’il parvint jusqu’aux oreilles du souverain.
La méfiance instinctive de Mohammad
s’était réveillée. Ce maudit marchand persan lui avait offert cette créature
afin d’attenter à ses jours. Il suffisait d’observer sa conduite pour en être
convaincu. Al-Razi s’était en effet lié d’amitié avec Mundhir qu’il avait
décidé d’accompagner lors de la dernière saifa lancée contre les Chrétiens.
Visiblement, il cherchait à s’attirer les bonnes grâces du prince héritier,
escomptant que celui-ci régnerait bientôt sur al-Andalous.
Le retors Hashim Ibn Abd al-Aziz
avait immédiatement tiré parti de la situation. En bon expert ès intrigues, il
était capable d’analyser froidement et lucidement le moindre événement survenu
à la cour. Quand il apprit que son maître avait confié à al-Razi le soin
d’accomplir, en son nom et à sa place, le pèlerinage à La Mecque, il comprit
que l’émir se préparait à la mort et voulait se mettre en règle avec sa
conscience. Or il savait que sa disparition se traduirait par sa propre
disgrâce. Mundhir vouait une solide rancune au favori qui s’était ingénié à
l’éloigner du palais et était disposé à lui faire payer très cher son attitude.
Mohammad devait être protégé contre lui-même et ses éventuels ennemis. Hashim
avait donc obtenu le renvoi de la trop belle et trop dangereuse Khadija et
interdit à quiconque d’approcher l’émir sans son autorisation. La solitude
pesait à ce dernier. Il n’avait personne à qui se confier et n’était pas dupe
des raisons exactes de
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