Abdallah le cruel
épargner. L’émissaire dut
patienter plusieurs jours avant d’être reçu en tête à tête par l’émir qui ne le
ménagea guère :
— Ta visite me surprend. Est-ce
à dire que tu as recouvré la raison ?
— Noble seigneur, je ne l’ai
jamais perdue et tes espions, visiblement, ne font pas leur travail. J’ai mis
en garde mes concitoyens contre les conséquences de leurs actes ; l’ancien
wali pourrait en témoigner. Je leur ai rappelé qu’ils te devaient obéissance et
qu’Aïshoun, loin de défendre l’islam comme il a l’impudence de le prétendre,
est un bandit qui cherche à s’enrichir à leurs dépens. Ils n’ont pas tenu
compte de mes avertissements et s’en repentent aujourd’hui amèrement.
Montre-toi généreux et tu n’auras pas de plus loyaux serviteurs qu’eux.
— Je suis ravi de leurs bonnes
dispositions, ironisa Mundhir, car elles sont bien tardives. Pourquoi
devrais-je me montrer clément ?
— Parce que c’est ton intérêt.
Omar Ibn Hafsun terrorise les populations et leur rappelle sans cesse ce qu’il
en a coûté aux défenseurs d’Iznajar d’avoir déposé les armes en se fiant aux
promesses faites par ton général. Ils ont tous été massacrés alors qu’ils
auraient dû être épargnés.
— De quoi me parles-tu ?
J’avais laissé Aswagh libre de ses décisions. Il avait et conserve toute ma
confiance. S’il s’était engagé à gracier les rebelles, nul ne pouvait le lui
interdire. Il avait tous les pouvoirs. Tu mens en affirmant que c’est sur mon
ordre que pareille infamie a pu être commise. Je n’y ai aucune part de responsabilité.
— Le massacre a pourtant bien
eu lieu, glissa habilement Abd al-Aziz Ibn Raouf.
Comprenant que son interlocuteur
n’était pas au courant des agissements de son demi-frère, il eut conscience
d’avoir marqué un point dans une partie qui s’annonçait serrée. Il lui fallait
maintenir son avantage sans pour autant accuser Abdallah explicitement. D’un
air entendu, il hocha la tête et poursuivit :
— C’est la thèse que j’ai
toujours défendue auprès des habitants d’Urshuduna dont les plus excités ont
voulu me mettre à mort. Je suis heureux d’apprendre de ta bouche qu’elle est en
tous points conforme à la réalité. Je te sais naturellement enclin à la
clémence. Il n’en demeure pas moins que ce massacre a jeté dans le camp de tes
ennemis les tièdes et les hésitants. Je les comprends. Ils sont persuadés
qu’ils n’ont aucune pitié à attendre de toi. Démontre le contraire et des
milliers d’hommes viendront se prosterner à tes pieds. Je t’offre là une
occasion rêvée.
— Tu vas bientôt me dire que
tes amis ne se sont révoltés que pour me faire plaisir.
— Ils ont, je te l’ai dit,
commis une faute parce qu’on a abusé de leur crédulité. Peut-on punir l’idiot
du village parce qu’il tient des propos décousus ? Tu as l’occasion de
porter un coup mortel à Ibn Hafsun. À ta place, je n’hésiterais pas un seul
instant.
— Justement, tu n’es pas à ma
place.
— Et je ne le souhaite pas. Je
mesure aujourd’hui le fardeau qui pèse sur tes épaules. Le commun des mortels
ignore le bonheur qu’il y a à n’exercer aucune charge publique.
— Sur ce point, je suis
d’accord avec toi. Je vais réfléchir et te communiquerai ma décision.
Abd al-Aziz Ibn Raouf ne put
contenir sa joie quand l’émir lui annonça qu’après avoir consulté ses
conseillers, il avait décidé d’accorder son pardon aux habitants d’Urshuduna.
Il y mettait toutefois deux conditions. D’une part, les assiégés devaient
neutraliser la garnison et ouvrir le lendemain, à la nuit tombée, la porte Sud
par laquelle ses hommes s’engouffreraient dans la cité. D’autre part, ils
devraient lui livrer Aïshoun et ses complices, lesquels seraient condamnés à la
peine la plus infamante qui fût : ils furent en effet crucifiés entre un
chien et un cochon, ce qui les privait de la possibilité d’entrer au paradis.
Quand le cadi de l’armée reprocha à Mundhir d’avoir agi aussi cruellement
envers des hommes qui étaient certes des traîtres mais aussi des Musulmans,
l’émir lui rétorqua :
— Ils ont eu ce qu’ils
méritaient et ce qu’ils souhaitaient. Aïshoun avait une telle confiance dans sa
bravoure qu’il ne s’imaginait pas être pris. Il m’a envoyé des lettres d’une
rare insolence à plusieurs reprises, affirmant que si jamais je
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