Abdallah le cruel
d’avoir
mérité son sort. Ce n’est pas le cas de ses fils et de ses filles qu’on a jetés
en prison et dont on a confisqué les biens. Ils n’ont pas à payer pour les
fautes de Hashim et le dévouement dont celui-ci a fait preuve excède de très
loin le rôle néfaste qu’il a pu jouer en certaines circonstances. Tu te devras
de réparer cette injustice.
— Je te le promets. Te
contenteras-tu de ma parole ?
— Te repentirais-tu déjà de me
l’avoir donnée au point qu’il n’y en ait aucune trace ? Rassure-toi, je
n’en exige pas. Je te laisse libre de tenir ou non cet engagement. C’est une
terrible responsabilité, tu ne tarderas pas à le découvrir. Si tu les gracies,
il te faudra te souvenir que tu le fais parce que l’ancien préfet de Kurtuba a
racheté les dettes que tu avais imprudemment contractées. Se rappeler ses
erreurs n’est ni facile, ni agréable. Si tu les laisses croupir en prison, tu
seras, que tu le veuilles ou non, torturé par le remords et tu chercheras à te
venger sur les autres de cette blessure, au risque de perdre ton trône.
— J’ai pris un engagement et je
m’y tiendrai, affirma, d’un ton péremptoire, le prince Abdallah, mettant ainsi
fin à l’entretien.
Sitôt connue la mort de l’émir
Mohammad, Omar Ibn Hafsun poussa un soupir de soulagement. Il vit avec
satisfaction l’héritier du trône reprendre la route de Kurtuba. Ses soldats,
qui assiégeaient la forteresse d’Alhama, l’un de ses châteaux, ne tardèrent pas
à se débander. Le muwallad en profita pour étendre considérablement ses
domaines, s’emparant de toutes les localités entre Bâgha [61] et le littoral, et
amassant un riche butin. Ses victoires lui valurent les faveurs du petit peuple
qu’il savait habilement flatter en feignant de s’apitoyer sur son sort. Dans
chaque ville où il entrait, il rassemblait les convertis et les haranguait :
« Depuis trop longtemps, vous avez à supporter le joug de l’émir qui vous
enlève vos biens et vous impose des charges écrasantes tandis que les Arabes
vous accablent d’humiliations et vous traitent comme leurs serviteurs. Je ne
désire pas autre chose que de vous rendre justice et vous libérer de cet
esclavage odieux. »
Un tel discours suscitait les
applaudissements enthousiastes de ses auditeurs qui s’empressaient de piller
les demeures des fonctionnaires et des Biladiyun [62] , voire même des
Berbères qu’ils continuaient à considérer comme des envahisseurs étrangers en
dépit du fait que les uns et les autres étaient tous Musulmans.
Avec les agissements inconsidérés de
ces partisans, Omar Ibn Hafsun aurait pu s’aliéner bien des sympathies. Il
avait su déjouer ce piège et se tailler une réputation de justicier et de
redresseur de torts. S’il livrait sans pitié à la vindicte de ses soldats les
bourgades qui lui résistaient, il veillait à ce que l’ordre public soit
soigneusement respecté dans ses domaines. Des soldats patrouillaient sans cesse
sur les principales voies de communication et une femme couverte de bijoux
pouvait se rendre d’une ville à une autre sans crainte d’être attaquée. Il
avait choqué les esprits en faisant exécuter plusieurs dizaines de ses partisans
sur la foi de simples dénonciations émanant de paysans qui se plaignaient
d’avoir été rançonnés par eux. Les malheureux avaient payé de ces accusations.
Bien entendu, il s’agissait, pour la plupart, de soldats loyalistes récemment
ralliés à Omar Ibn Hafsun. Il pouvait donc les sacrifier à sa guise. Il était
plus magnanime avec ses véritables fidèles qui le vénéraient et étaient prêts à
mourir pour lui. Les plus courageux d’entre eux arboraient avec fierté les
bracelets d’or qu’il distribuait généreusement à ceux qu’il voulait distinguer.
En quelques mois, il réunit autour
de lui plusieurs milliers d’aventuriers et fit prisonnier le gouverneur
omeyyade de Bâgha, Abdallah Ibn Sama’a. Le wali avait dépêché plusieurs
émissaires à Kurtuba et attendu en vain l’arrivée de secours. L’émir était trop
occupé pour les recevoir et son demi-frère les avait éconduits à dessein ;
il se doutait bien que cette attitude serait mal interprétée par les chefs
arabes devant lesquels il prenait un malin plaisir à dénoncer « l’inaction
déplorable de Mundhir ». Ses interlocuteurs, abusés, voyaient en lui leur
défenseur naturel et il s’était ainsi constitué, au fil
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