Abdallah le cruel
la
sincérité de son conseiller, il avait tenté à plusieurs reprises, en vain, de
le prendre en défaut. Il avait proposé des mesures préjudiciables à son
intérêt. Alors que les ministres et les fonctionnaires se confondaient en
flatteries, Abdallah s’était à chaque fois insurgé, expliquant d’un ton rogue
que l’initiative projetée affaiblirait le pouvoir de son parent et aurait des
conséquences fâcheuses. Mundhir appréciait cette clairvoyance et en avait
naïvement tiré la conclusion qu’Abdallah était le plus apte à lui succéder s’il
lui arrivait malheur. Par prudence, il n’avait pas mis l’intéressé dans la confidence.
Quelques courtisans avisés avaient
deviné les intentions de l’émir et s’étaient empressés de rechercher
discrètement les faveurs du jeune prince. Ils lui avaient prêté de grosses
sommes, lui permettant de pouvoir afficher en public son désintéressement. Pour
eux, c’était un investissement judicieux dont ils retireraient un jour un grand
profit. Abdallah avait accepté cet argent sans mot dire, n’hésitant pas à
tancer en plein Conseil ses bienfaiteurs. Il leur avait expliqué, d’un air
entendu, qu’il agissait de la sorte pour donner le change. Tous avaient rougi
de plaisir et crié au génie, se persuadant que se créait de la sorte une
complicité tacite entre eux et le futur émir. Walid Ibn Ghanim avait été le
seul à percer leur jeu et ce dévoué serviteur de la dynastie avait racheté à
leurs détenteurs les reconnaissances de dettes signées par Abdallah. Il s’était
ensuite rendu chez ce dernier et les lui avait remises. Interloqué, le prince
l’avait longuement dévisagé et l’avait questionné :
— Crois-tu pouvoir acheter
ainsi mes faveurs ?
— J’ai été préfet de Kurtuba et
j’ai refusé de reprendre ce poste quand ton père me l’a demandé. Je n’avais pas
accepté qu’il nomme à ma place un incapable, Hamdoun Ibn Basil. Tu es jeune et
il se passera de longues années avant que tu ne montes sur le trône. Je suis
trop vieux pour espérer être encore en vie à ce moment-là et tu sais que je
n’ai pas d’héritier mâle. Ma famille sert la tienne depuis l’arrivée dans cette
contrée d’Abd al-Rahman I er et il me déplaît que l’un de ses
descendants ait les pieds et poings liés par les promesses que tu as faites à
ceux qui se prétendent tes amis. Aucun d’entre eux n’a eu la franchise, je
suppose, de t’avertir que tu n’étais plus son débiteur.
— Non.
— Escomptant ma prochaine
disparition, ils n’avaient aucune raison de le faire et auraient réclamé leur
soi-disant dû lors de ton élévation au trône. J’ai considéré qu’il était de mon
devoir de t’aider à les démasquer quand l’occasion s’en présentera. De la
sorte, tu pourras distinguer entre tes vrais et tes faux amis. Crois-moi, c’est
une chose très utile pour un souverain.
— Tu me donnes là une leçon que
je ne suis pas prêt d’oublier. Je mesure ainsi tout ce qu’il me reste à
apprendre et je forme le vœu qu’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux te
maintienne longtemps en vie afin que tu puisses me faire bénéficier de tes
conseils. Tu es très différent des autres courtisans et je ne voudrais pas
t’offenser. J’insiste cependant : quelle récompense souhaites-tu que je
demande pour toi à mon frère ?
— De lui, je n’exige et
n’accepterai rien. Il n’est pas concerné par cette affaire.
— Que veux-tu alors de
moi ?
— Une seule chose : que tu
comprennes qu’un prince tire son pouvoir moins de son autorité ou de sa
naissance que des conseillers dont il sait s’entourer. Il doit veiller à ce que
justice leur soit rendue et c’est pourquoi j’ai une grâce à te demander.
— Parle et, par Dieu, je prends
l’engagement qu’elle te sera accordée.
— Je souhaite que ton premier
geste en tant que monarque soit de libérer les enfants d’Hashim Ibn Abd
al-Aziz.
— Je le croyais ton ennemi
juré.
— Il était le complice de
Hamdoun Ibn Basil et a contribué à ma disgrâce. J’avais donc toutes les raisons
de le haïr, hormis une. Il a toujours servi loyalement ton père. Certes, je
n’ignore pas qu’il y trouvait son intérêt et qu’il s’est montré fort imprudent
lors du décès de l’émir. Mais il l’a payé de sa vie et sa dernière lettre, dont
sa concubine m’a fait tenir une copie, montre qu’il était conscient
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