Abdallah le cruel
l’habileté d’affranchir, se gagnant ainsi
leur fidélité. Il effectua plusieurs sorties audacieuses, infligeant de lourdes
pertes à ses ennemis dont le nombre avait singulièrement diminué. Il n’y avait
rien d’étonnant à cela. Dès qu’ils apprirent l’accord intervenu entre Mundhir
et le rebelle, les soldats, frustrés de la perspective d’un riche butin,
préférèrent, pour beaucoup, regagner leurs provinces.
Fort heureusement, Abdallah arriva
avec des renforts, mais sans machines de siège, prétendant que celles-ci
étaient hors d’usage. Le prince constata que l’émir s’affaiblissait de jour en
jour en dépit des soins qui lui étaient prodigués. Le mari de Durr ne s’en montra
pas affligé outre mesure : le pouvoir était désormais à la portée de sa
main. En grand secret, il fit venir sous sa tente un médecin nommé Youssouf
al-Kouraishi, et l’interrogea :
— L’émir a-t-il une chance de
se rétablir ?
— Mes collègues l’affirment. Ce
sont ou des charlatans ou des flatteurs. Je connais bien cette maladie et une
issue fatale est inéluctable. Reste que je ne puis en fixer avec certitude la
date.
— En as-tu parlé à
Mundhir ?
— Je m’en suis bien gardé. Les
autres médecins ne m’aiment guère et ils m’auraient éloigné d’ici.
— Tu as sagement agi. Ton
patient est-il en état de continuer à exercer ses responsabilités ?
— Par moments, oui. Mais
al-Andalous sera dirigé d’ici peu par un prince incapable de faire face aux
dangers qui nous menacent.
— C’est un risque que nous ne
pouvons pas prendre.
— Dois-je en conclure que tu me
demandes d’abréger ses souffrances ? Je n’ai guère envie d’être accusé de
meurtre.
— Je serai son successeur et tu
peux compter sur ma générosité.
— Quelles garanties m’offres-tu ?
— J’observe que tu ne dis pas
non.
— J’attends tes propositions.
— Tu recevras, demain, une
grosse somme d’argent qui mettra ta famille à l’abri du besoin. Pour le reste,
tu peux me faire confiance.
— Je veux bien t’aider à une
seule condition. Dès réception de cette somme, je quitterai cet endroit et je
m’embarquerai pour l’Orient. Sitôt monté à bord du bateau, je remettrai à l’un
de tes officiers un moyen imparable de parvenir à tes fins.
— Lequel ?
— Une lancette empoisonnée. Les
médecins pratiquent sur ton frère saignée sur saignée au risque de le tuer. Ils
vont continuer ce traitement car c’est le seul qu’ils connaissent. Fais en
sorte de placer la lancette empoisonnée que je te remettrai près de l’homme
chargé de l’opération. Rassure-toi, je suis expert en poison et nul ne se
doutera des raisons exactes du décès. Mes collègues expliqueront qu’il aura
succombé car il était arrivé à bout de forces.
Tout se passa comme l’avait prédit
Youssouf al-Kouraishi dont la soudaine disparition n’étonna personne. Ses
collègues le tenaient en piètre estime et furent soulagés de ne plus avoir à
subir ses critiques incessantes. Après avoir appris la mort de son demi-frère,
Abdallah s’enferma sous sa tente. Il attendit trois jours avant d’annoncer
officiellement que Mohammad avait rendu son âme à Dieu. Sitôt informés, les
contingents de l’armée se débandèrent et regagnèrent leurs provinces, sous
prétexte d’organiser des cérémonies en l’honneur du souverain défunt. Bientôt,
l’héritier du trône n’eut plus autour de lui que quelques officiers et une
poignée de soldats. S’il le voulait, Omar Ibn Hafsun pouvait attaquer le
campement et faire prisonnier le futur émir. À sa place, Abdallah n’aurait pas
hésité un seul instant.
C’était mal connaître le chef
muwallad et son sens très particulier de l’honneur. Informé du décès du
monarque par ses espions, il se rendit auprès de son successeur et lui présenta
ses condoléances avant d’ajouter :
— Ton frère a voulu me défier
et il en est mort. C’était un homme loyal et courageux que j’appréciais. Je
devine que tu redoutes que je tire profit de la situation. Je n’en ai pas
l’intention. Ce serait un abominable péché pour un Musulman que d’empêcher de
donner à Mohammad une sépulture honorable au milieu des siens. J’ai donc décidé
d’instituer une trêve afin que tu puisses regagner Kurtuba en sécurité. Je te
fournirai une escorte, car on m’a signalé une bande de pillards à quelques
lieues
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