Abdallah le cruel
caisses du
Trésor étaient vides. J’ai cru bien faire en punissant ceux qui, depuis des
années, empêchent les agents du fisc de lever les impôts à Ishbiliyah, ville
dont ils ont chassé ou tué les différents gouverneurs nommés par tes soins. Je
me suis contenté de leur reprendre le montant de leurs rapines.
Abdallah esquissa un sourire et lui
dit :
— Mon père, que sa mémoire soit
glorifiée !, veillait attentivement sur les deniers de l’État. Je me
rappelle qu’un jour, il avait relevé dans le budget d’entretien d’al-Rusafa une
erreur minime, si minime qu’après avoir fait et refait tous les calculs, les
fonctionnaires les plus expérimentés n’ont pas réussi à en déceler l’origine.
Il la leur a indiquée et ils ont reconnu son génie. Si tu avais été aussi
scrupuleux que ton grand-père Mohammad, tu aurais pris soin de faire vérifier,
à Ishbiliyah, le contenu de ces coffres qui contenaient, selon toi, le montant
des impôts collectés en fonction de listes préalablement établies. Tu te serais
ainsi aperçu du piège que t’avaient tendu ceux que tu avais décidé de spolier.
N’est pas Mohammad qui veut !
« Quant à toi, Kuraib Ibn
Khaldun, tu n’ignores pas que certains des reproches de mon fils sont, hélas,
justifiés. J’ai eu plus d’une fois à me plaindre de la conduite des tiens et de
ton comportement. Il m’a fallu lever des armées pour vous contraindre à
l’obéissance et vous n’avez jamais respecté l’engagement que vous aviez pris de
vous montrer de loyaux sujets.
— Je ne puis te contredire, dit
Kuraib Ibn Khaldun. Tu connais les raisons de nos agissements. Nous devions
nous défendre contre les intrigues et les manœuvres des muwalladun qui
prétendaient bénéficier de ta protection.
— Ce fut votre erreur.
— Je l’admets, mais tes
représentants laissaient croire le contraire. Je ne fuis pas mes
responsabilités. Nous avons des torts. Lors de mon séjour à Kurtuba, j’ai pu
mesurer que tu gouvernes ce pays avec une poigne de fer et un grand sens de
l’équité. Tu as pour seul souci le bien de ton peuple.
— Tu n’es qu’un vil flatteur.
— Non, je te parle sincèrement,
noble seigneur. J’ai beaucoup appris en t’observant. Quel autre souverain que
toi aurait accepté d’entendre nos doléances contre l’un de ses fils ?
Voilà pourquoi je n’exige pas, plutôt, je n’exige plus la restitution de cette
somme. Utilise cet argent comme tu le souhaites et qu’il soit le gage de notre
loyauté à ton égard. Une chose encore : en dépit de ses défauts et de son
attitude envers les miens, j’aime et je respecte Mutarrif avec qui j’ai passé
de longs moments dans ma ville. Je te supplie donc de lui pardonner. Ne te montre
pas plus sévère que nous.
Abdallah se douta bien que cette
demande était suspecte. Ses deux interlocuteurs avaient visiblement intérêt à
se ménager l’un l’autre. Un lourd secret les unissait et les empêchait de se
porter mutuellement un coup mortel. Il se promit intérieurement de faire toute
la lumière sur cette question. Pour l’heure, il était épuisé par la fatigue. La
journée avait été éprouvante et il savait qu’il n’obtiendrait pas tout de suite
les réponses aux interrogations qu’il se posait. Il toisa Kuraib Ibn Khaldun
d’un air distant et répondit :
— Au nom de mon fils, je te
remercie de ta grandeur d’âme et j’accède bien volontiers à ta surprenante
requête. Je vous autorise à vous retirer. Je suppose que vous avez beaucoup de
choses à vous dire.
L’émir leur tourna le dos et fit
signe au hadjib qu’on lui fasse servir une collation avant que le sommeil ne
lui permette de reprendre des forces.
Chapitre VIII
Furieux d’avoir été désavoué par son
père, Mutarrif s’était enfermé dans son palais et sombrait dans la mélancolie.
Il passait ses journées à s’enivrer avec ses compagnons qui tentaient par tous
les moyens de le distraire. Il ne sortait jamais en public et ne se montrait
pas à la cour, de peur d’affronter le regard moqueur des courtisans. Il se doutait
que l’émir le faisait étroitement surveiller et qu’il avait placé parmi ses
domestiques et ses esclaves des espions à sa solde. Il avait donc décidé
d’observer la plus grande prudence d’autant qu’il n’avait plus l’énergie pour
faire valoir ce qu’il considérait être ses droits. Il se contentait de nourrir
le secret espoir que le
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