Abdallah le cruel
toute
action humaine. Je me dois d’assurer sans ambiguïté l’avenir de la dynastie.
J’ai donc décidé de nommer comme prince héritier mon petit-fils, le prince Abd
al-Rahman, fils de notre bien-aimé et regretté Mohammad. Au cas où il serait
trop jeune pour régner si je venais à disparaître prématurément, je confie à
mon frère Kasim le soin d’assurer l’intérim en s’appuyant, j’y tiens beaucoup,
sur son frère Mutarrif, auquel je confie le commandement de nos armées. Il
devra être associé étroitement à la gestion des affaires du royaume. Je sais
qu’il s’acquittera de cette tâche avec zèle comme il l’a prouvé récemment. Je
l’institue garant et dépositaire de ma promesse car je le considère comme le
seul digne de mériter ma confiance. J’ai dit.
Un tonnerre d’applaudissements et de
vivats salua les propos d’Abdallah. Bien qu’il n’ait pas compris ce que son
grand-père avait annoncé, le petit prince, lassé de devoir rester immobile,
manifesta sa joie en battant des mains et en effectuant des pirouettes.
Mutarrif, lui, avait l’air défait. Ses plus folles ambitions venaient d’être
réduites à néant. En lui ôtant tout espoir de lui succéder tout en lui
prodiguant des paroles flatteuses, son père l’avait publiquement humilié et ce
n’était pas le fruit du hasard ou d’un caprice. Il était assez lucide pour
savoir que tous guettaient sa réaction et que celle-ci déterminerait son rang à
la cour dans les mois et les années à venir. À la surprise générale, il
s’inclina devant son neveu dont il baisa le bord de la tunique et donna une
chaleureuse accolade à l’émir. Puis il s’adressa aux courtisans :
— Vous avez tous entendu les
paroles emplies de sagesse de votre souverain, mon père bien-aimé. Je jure de
m’y conformer dans la mesure où elles vont dans l’intérêt du pays et de ses
habitants.
Abdallah fronça les sourcils en
entendant la deuxième partie de la phrase qui introduisait une restriction
lourde de conséquences mais à laquelle personne ne paraissait avoir prêté
attention. Il feignit donc la plus grande joie et regagna ses appartements en
s’appuyant sur Mutarrif, marquant ainsi son désir de l’honorer.
Le souverain et son fils eurent
alors un tête-à-tête particulièrement orageux. Mutarrif laissa éclater sa
colère :
— Est-ce ainsi que tu as voulu
me manifester ta gratitude ? Je reconnais bien là ta duplicité. Tu
n’ignorais pas que tous s’attendaient à me voir désigné comme prince héritier
et tu as délibérément profité de cette occasion pour m’humilier. Tu me hais et
tu cherches par tous les moyens à me le montrer.
— Je ne te hais point. Tu es
mon fils et je ne l’oublie pas. Cela dit, je te juge indigne de régner. Tu n’as
pas les qualités requises pour faire un grand souverain.
— À quatre ans, Abd al-Rahman
les posséderait-il par miracle ?
— Je l’ignore, mais l’éducation
que je lui donnerai lui permettra de les acquérir. Si ce n’était pas le cas,
j’en serais le premier puni. Cela signerait la fin de notre dynastie.
— Tes paroles sont autant de
poignards plantés dans mon cœur. En quoi ai-je tant démérité ?
— Faut-il que je te rappelle
tous tes méfaits et toutes tes intrigues ? Nous y passerions plusieurs
journées.
— Il en faudrait encore plus
pour évoquer certains aspects de ta vie.
— Je vois que tu as la langue
bien pendue. J’ai commis en effet des actes dont j’aurais à rendre compte
devant Allah et je ne suis pas sûr qu’il m’accordera Son pardon. Cela dit, je
ne me suis jamais rendu coupable de vol.
— Qu’insinues-tu ?
— Tu m’as envoyé d’Ishbiliyah
des coffres remplis de pièces sonnantes et trébuchantes.
— C’était le montant des
amendes et des taxes dérobées par ce maudit Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn
Umaiya.
— N’as-tu pas oublié d’en
expédier une partie ?
Mutarrif pâlit mais se reprit
immédiatement :
— Tu es bien informé. Ce
n’était pas la totalité de la somme récupérée. Les routes sont encore peu
sûres. J’ai fait partir un premier convoi avec une escorte suffisante. Le reste
m’a suivi et sera déposé demain au palais.
— Voilà une bonne
nouvelle ! J’ai besoin de cet argent car j’ai une dette urgente à
acquitter.
— Tes créanciers seront
heureux.
— Effectivement, car les Banu
Khaldun et les Banu Hadjdjadj exigent le remboursement de la
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