Abdallah le cruel
que son
défunt frère avait connue et qui lui avait toujours été refusée du fait de ses
agissements. Pour mieux savourer ce moment, il avait ralenti le pas du destrier
qu’il chevauchait et mit plus de deux heures pour parvenir au palais où les
courtisans se pressaient dans l’espoir de se faire remarquer de celui qu’on
tenait pour le nouveau favori de l’émir. Abdallah attendait son fils dans la
vaste salle des audiences. Il était assis sur un fauteuil de bois précieux
incrusté de pierres précieuses. À ses côtés, se tenait un enfant de quatre ans,
le prince Abd al-Rahman, que son grand-père couvait du regard. Escorté par le
maire du palais, Mutarrif traversa la salle et s’inclina profondément devant le
monarque. Déjà, quelques courtisans, experts en intrigues, regrettaient d’avoir
tenté d’approcher le prince pour le féliciter. Un détail les avait frappés. Contrairement
à la rumeur qu’avaient répandue certains de ses conseillers, l’émir ne s’était
pas levé pour accueillir son fils. Il l’avait laissé venir à lui, l’observant
d’un air narquois. Après un moment qui parut interminable à beaucoup, Abdallah
daigna prendre la parole :
— Voici donc le restaurateur de
l’ordre public dans nos domaines. Sois le bienvenu à Kurtuba, nous t’attendions
avec impatience comme nous te l’avons écrit.
— J’ai fait diligence pour te
satisfaire. J’avais encore beaucoup de choses à régler à Ishbiliyah et dans les
environs. En privé, je te ferai part des mesures que j’ai prises.
— Elles ont notre approbation.
Nous savons que tu as agi sagement, tu l’as assez démontré durant cette longue
campagne.
— Je n’ai fait que mon devoir,
celui d’un fils obéissant et zélé.
— Ces mots réjouissent mon
cœur, murmura suavement le souverain. Nous t’avons dit que nous souhaitions ta
présence dans notre capitale pour faire part à notre peuple d’une grande
nouvelle qui comblera de satisfaction, nous l’espérons, nos loyaux sujets. Le
moment est venu de tenir cette promesse.
Mutarrif jeta un regard radieux sur
l’assistance. Il pressentait que son père allait le désigner officiellement
comme prince héritier, fonction restée vacante depuis la tragique disparition
de Mohammad. Abdallah se leva cette fois pour déclarer :
— Depuis mon accession au
trône, j’ai été confronté à bien des difficultés et, plusieurs fois, j’ai cru
qu’Allah m’avait retiré Sa protection. Je n’ai pourtant jamais perdu confiance
et mes prières ont été exaucées. Les méchants et les rebelles ont été punis et
les traîtres démasqués.
« Je ne me fais pas
d’illusions. Il reste encore beaucoup à faire pour ramener en al-Andalous la
paix et la prospérité que ce pays a connues sous nos glorieux prédécesseurs.
C’est ce à quoi je vais désormais m’employer dans l’intérêt de mon peuple
chéri.
« J’ai bien conscience qu’une
partie des troubles vient des interrogations suscitées par la fin tragique de
notre fils bien-aimé, Mohammad. Il n’a pu bénéficier de la grâce qu’après mûre
réflexion, je la lui avais accordée à la demande pressante du général Abd
al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya.
Un murmure monta de la foule. Le
fait que l’émir ait prononcé le nom de son ancien conseiller, exécuté à
Ishbiliyah pour complot contre sa personne, sans utiliser le terme de traître,
était lourd de sens. Indifférent à cette agitation, Abdallah poursuivit :
— Le doute s’est emparé de
beaucoup et je puis en vouloir à ceux qui se sont interrogés et s’interrogent
encore sur le prince qui serait appelé à me succéder dans l’hypothèse où Allah
déciderait de m’appeler rapidement auprès de Lui. Ma santé est, je le sais, un
sujet de préoccupation pour mon peuple et j’apprécie hautement sa sollicitude.
Quelques rires fusèrent, que le
hadjib fit taire d’un geste de la main. Abdallah sourit et dit :
— Abd al-Rahman Ibn Umaiya, tu
as tort d’interrompre ce moment de gaieté. J’aimerais que ces murs retentissent
plus souvent de rires que de pleurs. Trop de malheurs ont frappé notre famille
et nos proches et cette atmosphère de deuil m’est intolérable. Elle m’incite à
voir les choses et les gens sous le jour le plus sombre et ce n’est pas là ce
que mes sujets attendent de moi.
« J’ai longuement réfléchi et
je suis parvenu à la conclusion que l’espoir est le principal ressort de
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