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Aesculapius

Aesculapius

Titel: Aesculapius Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Aidez-moi, faites-le… bafouilla alors Jehan Fauvel.
    Qu’était une agonie de quelques secondes, qu’il appelait de ses prières depuis des jours, face à la méticuleuse horreur qui l’attendait ?
    L’homme le considéra durant un long moment puis avoua :
    — Pas simple de tuer un homme qui vous a jamais porté tort.
    — Dieu vous sera reconnaissant de votre compassion envers l’une de Ses créatures innocentes. Je n’ai rien fait de mal…
    — Oh, je l’sais. C’est l’cas de la plupart de ceux qui finissent dans cette antichambre de l’enfer.
    — Dites, je vous en conjure, à votre commanditaire…
    — J’le connais pas. C’est un intermédiaire.
    — Que cet intermédiaire transmette mon dernier message, je vous en supplie. Qu’on dise à cette personne qu’elle fuie, au plus vite, très loin. Qu’on lui dise que je l’aimerai pour toujours, par-delà le trépas. C’est le dernier vœu de celui qui va mourir.
    — J’m’en acquitterai. Parole. Bon… Ouvre grand la bouche.
    Tremblant d’espoir, Jehan s’exécuta. Les gros doigts de l’homme s’enfoncèrent, tirant sa langue vers le haut. Un dernier regard. Il retourna la langue vers la gorge de Jehan, l’enfonça dans l’ouverture de la trachée et maintint la main dans sa bouche.
    Le mire s’efforça de ne pas se débattre dans un réflexe et de demeurer inerte. Il aurait aimé remercier l’homme à nouveau mais aucun son ne pouvait plus sortir. Cet homme de rien venait de commettre l’acte le meilleur de toute son existence. Le meurtre. Il sentit son cerveau, tout son être lutter contre l’asphyxie et lui ordonna de se taire. Il contraignit ses mâchoires à ne pas tenter de se refermer sur la main providentielle. Un voile noir, doux, paisible, envahit peu à peu son esprit. Toute souffrance disparut enfin. Et il mourut, un joli sourire l’accompagnant. Celui d’Héluise.
    Lorsque le pauvre corps martyrisé s’affaissa, le garde retira sa pogne et en essuya la salive sur ses braies 4 . Il recula de quelques pas, se signa et conclut en haussant les épaules :
    — Repose en grande paix, l’ami. Tu l’as pas volé.
    1 - Genèse 4 : 7.
    2 - « Consultations à l’usage des inquisiteurs. »
    3 - Dit le Gros. Soldat puis juriste, il devint conseiller de Saint Louis puis pape sous le nom de Clément IV ( ? – 1268).
    4 - Pantalon large porté par les paysans ou les classes pauvres depuis les Gaulois. Nous en avons gardé « débraillé ».

VII
    Maison de l’Inquisition d’Alençon,
 juin 1306, ce même jour
    E udes de Grimblant éructait. Ses joues poupines et roses tremblaient de rage. Il s’était agité toute la matinée dans l’espoir de trouver un coupable sur qui passer son ire. En vain. D’un œil torve, les gardes l’avaient écouté vitupérer sur un ton rendu suraigu par la fureur, lancer d’affreuses imprécations, aucune lueur ne passant dans leurs regards abrutis. Il avait résisté à grand-peine à l’envie de les frapper. Quant au bourreau, qui possédait une longue habitude des sournoiseries des accusés, il avait été formel : certains d’entre eux étaient si dévoyés qu’ils parvenaient à avaler leur langue pour échapper à leur punition, leur juste punition.
    Un échec. Cuisant. Comment allait-il l’apprendre, à Rome, qu’il n’avait rien tiré de ce maudit Fauvel, hormis des hurlements de bête ?

    Grimblant avait recouvré un peu de son calme vers none*. Au fond, mieux valait pour lui que Fauvel fût mort de son propre fait, plutôt que d’avoir bénéficié d’une complicité ; en ce cas, on n’aurait pas manqué d’accuser l’inquisiteur de négligence. Cette déduction le rasséréna un peu. Que les gardes respirent : il ne chercherait plus à les incriminer, au risque de se porter à lui-même préjudice. D’autant qu’il doutait fort que l’un deux ait été assez sot ou brave pour s’opposer, même en se cachant, aux volontés de l’Inquisition qu’il représentait.
    Eudes de Grimblant l’admettait. Il aimait la terreur qu’il inspirait à tous, lui, le petit puîné 1 . Il avait préféré prendre la robe plutôt que de servir et de devoir sa subsistance à son frère aîné et à sa mesnie 2 . Si l’aigreur l’avait habité durant des années, l’implacable puissance devenue sienne l’avait amplement dédommagé. Certes, il haïssait toujours son frère d’être né deux ans avant lui. Toutefois, l’espèce de crainte qu’il sentait

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