Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
manque ? demanda Eumène.
-- Beaucoup. Son sourire me manque, tout comme la lumière de ses yeux, le timbre de sa voix, la chaleur de son amour.
--Elle manque encore plus à Perdiccas, il se ferait couper un bras s'il pouvait glisser l'autre autour de sa taille. . . Alors, je te quitte.
--Non, reste. Bois une coupe avec moi. "
Eumène se versa du vin et prit place sur un tabouret pen dant qu'Alexandre ouvrait la missive et commençait à la lire: Cléop‚tre à son bien-aimé Alexandre, salut !
Je ne sais o˘ et quand cette lettre te parviendra: sur un champ de bataille ? pendant ton repos ? au cours du siège d'une forteresse ? Je t'en prie, mon frère adoré, ne t'expose pas inutilement au danger.
Nous avons tous été infonnés de tes aventures et nous en sommes très fiers. Ou plutôt, mon époux en est presque jaloux. Il piaffe, il lui tarde de partir pour égaler ta gloire. J'aimerais, quant à moi, qu'il reste à
jamais à mes côtés: j'ai peur de la solitude et j'aime vivre près de lui dans ce palais au bord de l'eau. A la fin de la journée, nous montons sur la plus haute tour et regardons le soleil se coucher sur les vagues, jusqu'à ce que tout s'assombrisse et que l'étoile du soir grimpe dans le ciel.
J'aimerais pouvoir t'écrire des poèmes, mais quand je lis l'édition de Sapho et de Nossis que maman m'a donnée le jour de mon départ, je me sens incapable d'une telle entre prise.
Mais je cultive le chant et la musique. Alexandre m'a offert une servante qui joue de la fl˚te et de la cithare à melveille, et qui m'en apprend l'art avec dévouement et
patience. Chaque jour, j'offre des sacrifices aux dieux afin qu'ils te protègent.
quand te reverraije ? Porte-toi bien.
Alexandre referma la lettre et laissa retomber son menton sur sa poitrine.
" Mauvaises nouvelles ? demanda Eumène.
--Oh ! non ! Ma soeur est comme ces petits oiseaux qu'on enlève trop tôt du nid: de temps en temps, elle se rappelle qu'elle est encore une adolescente, et elle a la nostalgie de la maison de ses parents. "
Péritas s'approcha en gémissant et frotta sa tête contre la jambe de son maître en quête d'une caresse.
" Perdiccas est déjà parti, reprit le secrétaire. Il sera demain à Myndos et prendra possession du port pour la flotte. Tous nos camarades se trouvent auprès de leurs détachements, à l'exception de Léonnatos qui a fourré deux filles dans son lit. Callisthène écrit, sous sa tente, mais il n'est pas le seul à le faire.
--Ah, non ?
--Non. Ptolémée aussi rédige un journal, des sortes de mémoires. Et j'ai entendu dire que Néarque s'est lancé égale ment dans l'écriture. J'ignore comment il y arrive dans ce bateau qui ne cesse de tanguer et de fendre les flots. J'ai vomi
à deux reprises quand nous avons traversé les Détroits.
--Il doit être habitué.
--Oui. Et Callisthène ? T'a-t-il montré une partie de ses écrits ?
--Non, rien. Il est très jaloux de son oeuvre. Il m'a dit que je ne pourrais y jeter un coup d'oeil qu'une fois la rédaction définitive achevée.
--Dans plusieurs années, alors...
--J'en ai bien peur.
--Ce sera dur...
-- quoi ?
--De prendre Halicarnasse. "
Alexandre acquiesça d'un signe de tête tout en grattant Péritas derrière les oreilles et en l'ébouriffant.
" Je le crains. "
Le grondement discret de Péritas réveilla Alexandre, qui comprit soudain ce qui avait alarmé son chien: le galop rapide d'un détachement de cavaliers, suivi par la conversa tion animée des hommes qui veillaient devant sa tente. Il jeta une chlamyde sur ses épaules et se précipita dehors. Il faisait encore nuit et la lune était suspendue au-dessus de la ligne des collines, dans un ciel laiteux et sombre, voilé de nuages bas.
L'un des soldats du détachement s'approcha de lui, le souffle court. "
Sire, une embuscade, un piège !
--quoi ? demanda Alexandre en l'attrapant par le chiton.
--C'était un piège. quand nous sommes arrivés devant les portes de Myndos, nous avons été assaillis de tous côtés: traits et javelots pleuvaient comme de la grêle, des troupes de cava lerie légère fondaient sur nous depuis les collines, d'autres encore se précipitaient... Nous nous sommes défendus, sire, nous avons combattu avec toute l'énergie que nous possé dions. Si la flotte était entrée dans le port, elle aurait été
détruite. Partout, on pouvait voir des catapultes et des projec tiles incendiaires.
--O˘ est Perdiccas ?
--Il est encore là-bas. Il
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