Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
à vous convoquer. Aucun de nous ne sortira de cette tente tant que nous n'aurons pas pris de décision.
-- Comment réagira Parménion, voilà la question qui te tourmente, n'est-ce pas ? ", le devança encore une fois Eumène.
--Oui, admit Alexandre.
--Il t'avait déjà donné deux fils, reprit le secrétaire général. Hector, qui s'est noyé dans le Nil, et Nicanor, emporté par une blessure mortelle.
Et voilà que tu as fait torturer et tuer le troi sième, son aîné, celui dont il était le plus fier.
--Pas moi ! s'écria Alexandre. Je l'avais élevé à la plus haute dignité
après la mienne. Il a été jugé pour ce qu'il a fait. " Il baissa la tête pendant de longs, d'interminables ins tants, puis il poursuivit d'une voix grave: " Nous sommes seuls, isolés dans le coeur d'un pays immense et inconnu, nous allons entreprendre une aventure que nous nous sommes juré de mener à bien, et une erreur pourrait tout réduire à néant, insuffler de nouvelles forces à un adversaire encore indompté, qui prépare sa revanche, ruiner toute notre expédition. Voulez-vous voir nos compagnons perdus ou prisonniers, tor turés et tués, ou vendus comme esclaves dans de lointaines contrées, à jamais privés d'un espoir de retour? Et voulez vous que notre patrie soit renversée, envahie, que vos familles soient anéanties et vos maisons incendiées par d'implacables ennemis ? Si Alexandre tombe, le monde entier sera en proie à d'effroyables convulsions, vous en rendez-vous compte ? C'est ce que tu veux, Eumène de Cardie? C'est ce que vous voulez, vous autres ? J'ai été obligé de frapper sans hésitation, foulant au pied toute retenue, toute affection, toute... pitié. "
Ses yeux br˚laient de larmes, sa voix était brisée par les passions qui déchiraient son ‚me, et ses compagnons le reconnurent enfin, sentirent la force renversante qui l'animait, et qu'ils avaient presque oubliée. On aurait dit que son souffle s'était glissé dans leurs poitrines, que ses larmes roulaient sur leurs joues, que ses doutes et ses angoisses agitaient leurs esprits.
Le roi les fixa l'un après l'autre dans les yeux, avant de dire: " La décision la plus horrible doit encore être prise.
--L'assassinat de Parménion ? ", demanda Eumène d'une voix tremblante.
Alexandre acquiesça. " Nous ignorons comment il réagira à I'annonce de la mort de Philotas. Mais s'il décide de se venger, nous serons exterminés: c'est lui qui détient l'argent nécessaire à notre ravitaillement, lui qui possède le contrôle des routes et des contacts avec la Macédoine, pour l'envoi des renforts dont nous ne cessons d'avoir besoin, lui qui peut refermer la porte dans notre dos et nous abandonner à
notre destin, s'allier avec Bessos ou n'importe quel autre ennemi, et nous exterminer jus qu'au dernier. Pouvons-nous courir ce risque ?
--Un mot, dit Cratère. Crois-tu que Parménion est au cou rant de la conjuration, ou qu'il en fait partie ? Philotas était son fils: il est logique de penser qu'il l'avait mis ~u courant de son action.
-- Je ne crois pas, mais je suis contraint de le penser. Je suis le roi, rien ni personne ne peut m'aider. Il n'y a qu'un seul remède à l'angoisse: l'amitié. Sans vous, j'ignore si je trou
866 ALEXANDRE LE GRAND LES CONFINS DU MONDE
verais la force et la volonté de mener à bien cette entreprise Et maintenant, écoutez-moi: je refuse de vous imposer le fardeau de mon remords, que je suis le seul à devoir porter, mais si vous pensez que tout cela est folie, si vous croyez que j'ai franchi les limites autorisées à
l'être humain, si vous consi dérez que le geste que je m'apprête à
accomplir est le fait d'un tyran exécrable, tuez-moi. Maintenant. Donnée par vous la mort ne me semblera pas terrible. Choisissez ensuité le meilleur d'entre vous car je n'ai pas d'enfant, entendez-vous avec Parménion et rebroussez chemin. " Il dégrafa sa cuirasse et la laissa tomber sur le sol, montrant son torse inerme.
" J'ai juré de te suivre au-delà de toutes les limites, dit Héphestion.
Et par limites, je n'entendais pas seulement les confins du monde, mais aussi la barrière qui sépare le bien et le mal. " ~Puis, il ajouta à
l'adresse de ses compagnons: " Si l'un de vous souhaite tuer Alexandre, il faudra d'abord qu'il me tue. "
Il dégrafa sa cuirasse et la laissa tomber à son tour, se pla çant aux côtés du roi.
Ils avaient tous les larmes aux yeux, certains pleuraient même en se cachant le
Weitere Kostenlose Bücher