Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
bouche, puis elle dit dans sa langue: " Garde-moi, Alexandre, ne me quitte pas. Je ne pourrais vivre sans toi. "
Elle s'assit dans un coin de la tente et resta là, en silence, dans l'attente de ses regards ou de ses paroles, épiant le moindre battement de ses paupières, guettant son moindre soupir. Mais le roi semblait pétrifié, enfermé dans son monde impénétrable, prisonnier de ses rêves et de ses cauchemars.
Puis, au soir du troisième jour, avant que le soleil se couche, alors qu'il était assis sous sa tente, il perçut une présence sou daine. Il leva les yeux: devant lui se tenait le sage indien, qui le fixait de ses yeux sombres. Il se rendit compte que personne ne l'avait vu, que les gardes ne l'avaient pas arrêté et que Péritas non plus ne s'apercevait pas de sa présence: il som meillait dans un coin.
L'homme ne dit rien. Il se contenta d'indiquer le campe ment de la main, mais son geste dégageait une force irrésis tible. Le roi sortit. Avec stupéfaction, il découvrit ses soldats debout devant la tente. Les yeux rouges, les cheveux longs et
en désordre, les vêtements déchirés, ils fixaient sur lui leur regard triste et angoissé, mais ferme, dans l'attente d'une réponse. Alexandre les regarda et comprit enfin. Il sentit toute leur souffrance peser sur lui et il parla. Il cria: " On m'a dit que vous ne voulez plus avancer. Est-ce vrai ? "
Personne ne répondit. Un murmure de protestation par courut les rangs.
" Je sais que c'est faux. Je sais que vous êtes les meilleurs soldats du monde et que vous ne vous révolterez jamais contre votre roi ! Je voulais que nous poursuivions notre chemin, mais j'ai également tenu à immoler des victimes aux dieux afin de connaître leur volonté. Hélas, les auspices nous sont contraires. Et personne ne peut défier la volonté des dieux. Donc, préparez-vous, hommes! Préparez-vous, car il est temps à présent que vous profitiez de ce que vous avez mérité et conquis. Nous rentrons. Nous rentrons chez nous ! "
ALEXANDRE LE GRAND | LES CONFINS DU MONDE 965
Il n'y eut ni ovations ni acclamations, mais une profonde une intense émotion. Nombre d hommes pleuraient en silence et leurs larmes coulaient lentement sur leurs barbes hirsutes, sur leurs visages creusés par huit années de batailles, de veilles, d'assauts, de froid et de chaleur, de neige et de pluie. Ils pleuraient car leur roi ne s'était pas emporté
contre eux,; il les aimait encore, comme des enfants, et il les ramenait chez eux. Un vétéran se détacha des rangs et avança vers Alexandre. Il lui dit: " Merci, sire, d'avoir accepté d'être vaincu par tes sol dats, et par eux seulement. Merci... Nous voulons que tu saches que, quoi qu'il arrivej quoi que le destin nous réserve, nous ne t'oublierons jamais. "
Alexandre l'embrassa, puis il ordonna que tout le monde retourne aux tentes pour préparer le départ. quand les soldats se furent éloignés, il marcha, seul, jusqu'à la rive de l'Hyphase. Les rayons du soleil couchant parvenaient ici et là à trouer les nuages, incendiant le grand fleuve, teintant de rouge la loin taine silhouette du Paropamisos, ses grands pics, pareils à des pilastres soutenant la vo˚te céleste. Alexandre laissa son regard errer sur l'autre rive, sur la plaine infinie qui s'étendait jusqu'à
l'horizon, et il pleura comme il n'avait jamais pleuré au cours de son existence. Jamais il ne verrait le courant majestueux du Gange, jamais il ne marcherait sur le rivage des lacs dorés, parmi les paons iridescents de Palimbothra. Les larmes coulèrent de son oeil aussi bleu que le ciel, elles coulèrent de son oeil aussi noir que la nuit.
Comme si le ciel approuvait la décision d'Alexandre, il plut pendant plusieurs jours, ce qui offrit une trêve à ses soldats. Après quoi, le roi partagea son armée en douze groupes, aux quels il donna l'ordre d'ériger douze autels de pierre le long des rives de l'Hyphase, des autels gigantesques, aussi hauts que des tours, en l'honneur des douze dieux de l'Olympe. Il fit ensuite offrir un sacrifice en présence de toute l'armée rangée, et pria les dieux pour qu'ils n'autorisent personne à les fran chir. Le lendemain, l'armée s'ébranla en direction de l'Indus. Elle rallia Sangala et les villes qu'Alexandre avait récemment fondées: Alexandrie Bucéphale et Alexandrie Nicée.
C'est là que le commandant CoÔnos, qui s'était héroÔque ment battu à
Gaugamèle, puis en Bactriane au cours de la campagne
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