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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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l’aveuglement.

    La seule rivale de la politique, à cette époque, était
la littérature. Ma grand-mère m’avait appris à lire
dans les contes d’Andersen, ceux de Perrault, suivis
de Bécassine , Bicot , Zig et Puce . À huit ans, j’avais
découvert Jules Verne, qui fut le rêve émerveillé de
ma jeunesse.

    J’ai dit la place d’André Gide. J’avais quinze ans
lorsqu’il conquit dans ma pensée une influence paradoxale. Elle fut déterminante dans l’orientation de
ma formation. Si Maurras était le maître à penser
dans ma famille, Gide y incarnait le mal. Ce ne fut
pas pour moi son moindre attrait, et j’adhérai avec
d’autant plus d’enthousiasme à ses valeurs religieuses, morales et littéraires.

    Mon admiration pour Gide fut sans bornes. À la
différence de Maurras, il était mon secret. En lui, je
reconnaissais mes aspirations inavouées : les séductions d’un amoralisme d’esthète, l’assouvissement
de passions secrètes et contradictoires. Influences
d’autant plus fortes que son programme libertaire
était transfiguré par une écriture voluptueuse que je
mettais au pinacle.

    Gide, protestant hédoniste, cultivait ses contradictions et prônait l’individualisme anarchique combattu
par Maurras. Je n’éprouvais nul déchirement à ce
paradoxe. Au contraire, chacun de ces principes exaltait une tendance extrême de mon caractère : passion de l’autorité et ivresse de la volupté. Parce
que je vivais ces doctrines sans états d’âme, elles
devinrent complémentaires dans mon existence.
J’avais opéré, sans le savoir, ce que les dominicains
condamnaient comme un schisme.

    Le temps était rythmé par les vacances, que je
passais depuis ma naissance au bord de la mer, à
Biarritz, chez mes grands-parents maternels, puis à
la montagne, chez ma mère, dans la vallée d’Ossau,
près de Pau. L’hiver, je faisais du ski ; l’été, de l’escalade. Mes camarades de Saint-Elme, Philippe et
André Marmissolle, m’y rejoignaient. Ils devinrent
ainsi mes amis les plus chers. À Bordeaux, au cercle,
j’avais d’autres amitiés militantes : Yves Carquoy et
Henri Blanquat.

    Cette existence privilégiée s’acheva, à 17 heures,
le 3 septembre 1939, avec la déclaration de guerre
de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne. Cette
année-là, après mon été à la montagne, je préparais
à Bordeaux l’oral du bachot, plus attentif aux événements qu’à mes études. Mon beau-père, invalide
de la Grande Guerre, était partisan de l’usage de la
force contre les Boches : « Ils ne comprennent que
la trique. » Pour cette raison, il avait condamné, en
1936, la réoccupation de la Rhénanie par Hitler , puis,
en 1938, la « capitulation » de Munich. En septembre
1939, il était naturellement partisan de la guerre à
outrance.

    Était-ce dû à mon caractère batailleur ? En toute
occasion, j’approuvais son bellicisme. Cette position
était contraire à celle de Charles Maurras, qui menait
campagne en faveur de la paix. Pour la première fois,j’étais en désaccord avec lui, tout Camelot du roi et
fanatique de l’Action française que je fus. Pour moi,
il était en contradiction avec sa doctrine : n’avait-il
pas, en 1933, dès l’arrivée de Hitler au pouvoir,
dénoncé le nazisme, réincarnation du « pangermanisme » qu’il appelait à combattre ?

    Ses arguments pacifistes n’étaient pourtant pas
sans valeur. La guerre ? La France n’était pas prête
militairement. J’étais certain qu’il se trompait, parce
que j’avais confiance dans l’armée française. Devenue par la victoire de 1918 la première armée du
monde, elle était magnifiée dans mes livres d’histoire
et aux actualités cinématographiques par des reportages dithyrambiques. Dès la déclaration de guerre,
Maurras mit heureusement un terme à ses critiques
et rallia l’union sacrée.

    Mon nationalisme ombrageux m’imposa de m’engager immédiatement pour défendre la « déesse
France ». De surcroît, cela me fournissait une occasion de prouver ma valeur aux anciens combattants.
Depuis mon entrée dans ce que je nommais pompeusement « la politique », je me heurtais (ainsi que
mes camarades du cercle) à leur mépris : « Quand
tu auras fait la guerre, tu pourras parler. » Insupportable ségrégation  : je souhaitais devenir, par la guerre,
un homme à part entière.

    J’avais dix-huit ans, et la majorité était à l’époque
à

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