Alias Caracalla
dénonçant
les manœuvres de la cinquième colonne ? De même,
Maurras a été dupe lorsque, les semaines passées, il
a dénoncé d’autres défaitistes partisans d’un armistice. Comme nous avons eu raison, les jeunes, de
nous moquer des anciens combattants radoteurs.
Aujourd’hui, nous devons prendre la relève et montrer l’exemple : à nous de délivrer le pays.
Je me lève d’un bond. J’ai hâte de revoir mes camarades du cercle La-Tour-du-Pin. Je ne doute pas
qu’ensemble nous sauverons la Patrie, persuadé
qu’elle est vaincue parce que j’ai renoncé à m’engager.
Dégringolant l’escalier, je traverse la terrasse où mes
parents déjeunent. Sans un mot, j’enfourche ma moto
en état de transe et dévale le chemin de terre qui traverse Bescat. Je saute sur les nids-de-poule, dirige la
machine avec peine. Sur la route de Pau, j’accélère
enfin.
Plus j’avance vers Pau, plus je suis impatient de
rejoindre la permanence, où je suis sûr que mes
camarades organisent déjà la revanche. J’ouvre la
porte : la salle est vide. Il n’est pas 3 heures : ils sont
tous en classe au lycée. Sur la table, la manchette
de L’Action française de ce matin : « Non, le Français
ne sera pas esclave duBoche 1 . » Conclusion logique
du refus d’un armistice par Maurras, le 30 mai.
Je sors observer la foule place Clemenceau. Les
réfugiés sont encore plus nombreux qu’hier. Personne
ne pleure, ce qui me choque profondément. Les terrasses des cafés débordent, les magasins sont engorgés. J’ai peine à me déplacer au milieu de cette foule
vaquant à ses occupations. Ont-ils entendu le discours
de Pétain ?
Cette passivité me révolte et renforce ma volonté
d’agir. Mais comment ? Je retourne à la permanence :
toujours personne. Je m’assois pour tenter de réfléchir. D’abord un postulat : cette guerre ne peut finir
sans moi. Ma mobilisation, le 10 juillet, contribuera,
j’en suis sûr, à transformer la défaite en victoire. Rien
n’est perdu puisque la flotte, l’empire, l’Angleterre
sont intacts. Tous les journaux le répètent. Plus je
réfléchis, plus ma première intuition me semble juste.
Ce n’est pas l’armée française qui a perdu la guerre,
mais quelques militaires et civils « vendus » qui
livrent le pays à Hitler, et cette conspiration a pour
chef Pétain.
Les vrais Français doivent s’opposer à ce crime.
Mais avec quoi barrer la route aux Boches ? Retour
au problème immédiat : Comment ? Soudain, l’inspiration : il faut réunir le maximum de jeunes, emprunter les voitures, les fusils de chasse de nos parents
et partir sur la route des Landes, à la rencontre des
Boches. Préparer des embuscades, détruire les chars,
tuer les hommes, et puis sacrifier nos vies à la patrie.
Je me souviens du sacrifice glorieux de JacquesThibault 2 à la guerre de 1914 : pour les êtres vils, samort fut inutile. Est-ce donc inutile de mourir pour
sa foi ?
Surexcité, j’explique mon projet au premier garçon qui pousse la porte de la permanence : Philippe
Marmissolle. Demi-pensionnaire, il n’a pas entendu
le discours de Pétain. Je lui fais le récit de la trahison. Il blêmit, reste muet, retient ses larmes, puis
murmure : « Le salaud ! » Je lui expose mon projet.
Il se ressaisit et me regarde ironiquement : « C’est
loufoque : du romantisme de pacotille. » Retrouvant son calme, il ajoute : « D’abord, il faut connaître la signification exacte de l’allocution de Pétain,
mais aussi ses conséquences. A-t-il ordonné la fin
des combats ? A-t-il demandé l’armistice, ce qui est
différent ? Ou n’est-ce qu’une feinte pour gagner
du temps tout en préparant la poursuite de la
guerre ? »
Sa réaction m’irrite : la France coule à pic, et il
me propose d’examiner la situation ! Lui non plus
n’a rien compris : les événements tragiques exigent
une réplique foudroyante. D’autres camarades arrivent. Je recommence mon récit. Chacun offre un
visage défait, mais à la différence de Philippe ils
sont d’accord pour agir sur-le-champ. Christian
Roy, un garçon de Nantes réfugié à Pau, passionné
de Maurras, résume la question : « Que faire ? »
Nous revenons au point de départ. Après une discussion interminable, nous décidons d’organiser une
réunion publique — une manie des responsables de
l’Action française en période de crise — afin d’inciter les jeunes à se
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