Alias Caracalla
ventes grimpa vertigineusement,
sous l’effet de l’afflux des réfugiés à Pau ; début juin,
nous dépassions tous les records.
J’avais installé sur le mur du salon, à Bescat, une
carte des opérations : au gré des communiqués
révélant l’ampleur de la retraite, je déplaçai la ligne
du front, tracée avec un fil rouge. Le 5 juin, afin
de contenir ce fléchissement continu, le général de
Gaulle, un inconnu dont j’ignorais jusqu’au nom, était
appelé au gouvernement. Obnubilé par Domino, je
ne prêtai nulle attention à cette promotion. Une rencontre de hasard m’en révéla toutefois l’importance.
Le lendemain de la désignation du général, mon
beau-père m’emmena déjeuner chez un docteur de
ses amis, représentant de l’Action française à Oloron-Sainte-Marie, petite ville voisine. Au cours du repas,
le docteur nous révéla les qualités et l’importance
de la nomination du nouveau sous-secrétaire d’État
à la Défense : le général de Gaulle, un spécialiste des
blindés, soutenu par Paul Reynaud depuis des années,
qui s’était battu depuis 1936 en faveur de la création
d’un corps cuirassé. Selon son plan, qui avait été
refusé, la France devait être dotée de dix divisions
cuirassées en avril 1940.
Le docteur prétendait que le général était monarchiste de tradition familiale et fervent disciple deMaurras 1 . C’est pourquoi, lors de son arrivée au gouvernement, il avait été soutenu sans réserve par L’Action française . Notre ami nous montra une photographie publiée par un journal local. On y voyait
quelques membres du gouvernement sortant du
Conseil des ministres. Au premier rang je reconnus
Paul Reynaud, président du Conseil, conversant avec
le maréchal Pétain. À l’écart, derrière eux, le général
de Gaulle : « Regardez comme il les observe. Avec
lui tout va changer. Il ne les laissera pas faire. »
Dans les jours qui suivirent, j’oubliai cette prédiction : il n’y avait nulle place dans ma tête pour le
général de Gaulle. Seule Domino occupait mon temps
et mon espérance. D’autant que je vivais cette idylle
au sein d’un pays imaginaire et invulnérable : vainqueur de la Grande Guerre, puissance des cinq parties du monde, fille aînée de l’Église, modèle de
civilisation universelle, perle de l’histoire…
Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain brisa cette idole
et changea mon destin.
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1 . Le jour de la nomination du général de Gaulle, L’Action française rappela que son père était un monarchiste de toujours. Son
fils avait suivi l’exemple du père, et sa valeur d’innovation militaire
avait été appuyée par Maurras. Homme de Paul Reynaud, il était
catalogué à droite. Je n’ai jamais parlé à mes camarades de tout
cela et ne sais ce qu’ils en pensaient.
I
DE PAU À BAYONNE
I
PÉTAIN TRAHIT L’ESPÉRANCE
17-21 juin 1940
Lundi 17 juin 1940
Le maréchal Pétain président du Conseil
L’aube annonçait un décor de victoire : ciel glorieux, lumière rose irisant les montagnes, silence
griffé par les cris d’hirondelles.
Levé à 7 heures, comme chaque matin depuis
l’offensive allemande, je prends mon petit déjeuner
au salon avec mon beau-père. Nous écoutons ensemble les premiers bulletins de Radio-Toulouse. C’est
ainsi que nous apprenons la démission du ministère
Paul Reynaud dans la nuit et la désignation du nouveau président du Conseil des ministres, le maréchal Pétain.
Cet événement tant désiré transforme notre espérance en certitude : la France est sauvée ! Avec le
Maréchal, la grandeur de la France triomphe enfin
des combinaisons politiciennes. Après l’inexplicable
reculade de notre armée ces dernières semaines,
l’homme de Verdun, par sa seule présence, brisera
la ruée allemande : la Garonne sera une nouvelle
« Marne ». La campagne de l’Action française au
printemps porte ses fruits. Une fois de plus, CharlesMaurras avait raison : Pétain est le sauveur miraculeux.
Exalté, je grimpe l’escalier en courant et, pour la
première fois de ma vie, entre sans frapper dans la
chambre de ma mère. Elle dort encore. Je m’écrie :
« Le maréchal Pétain devient notre chef ! » Bien que
réveillée en sursaut, elle se dresse, rayonnante : « Tu
vois Dany, je savais bien que Dieu n’abandonnerait
pas la France. Nous sommes sauvés. » Je l’embrasse
tendrement et
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