Alias Caracalla
redescends écouter d’autres nouvelles.
Mais à l’exception de l’avance allemande, qui se poursuit inexorablement vers Bordeaux, il n’y a rien.
Cela n’a guère d’importance : Pétain au pouvoir,
la guerre est gagnée.
Après le départ de mon beau-père pour son usine,
je laisse le poste allumé, espérant plus d’informations
et l’annonce d’une première victoire. Pendant ce
temps, j’établis les comptes de la vente de L’Action
française hier : mes camarades m’ont remis 700 francs
en menue monnaie. Chiffre incroyable, jamais
atteint ! Le bénéfice nous permettra d’imprimer des
tracts afin de soutenir l’action de Pétain contre les
défaitistes. Je prépare une lettre pour les messageries de Pau, leur commandant trois cents exemplaires du journal pour dimanche prochain. Grisé par
ce triomphe, j’exulte.
En fin de matinée, je rejoins à pied mon beau-père à l’usine, à trois kilomètres de là. Vers midi, nous
quittons son bureau pour rentrer déjeuner à Bescat.
Tandis que nous sortons du chantier, le chef d’atelier
nous hèle sur le pas de sa porte. Hilare, il annonce :
« Il paraît que ça va mal “là-haut”. Le maréchal Pétainva parler à la TSF à midi et demi. Ils viennent de
l’annoncer plusieurs fois. C’est très grave. »
Je suis frappé par son ton goguenard. C’est un
Parisien sympathique qui m’a initié à la mécanique.
Sans doute attend-il comme nous un miracle de
Pétain. Nous sommes impatients d’entendre le premier discours de notre chef : il annoncera certainement une contre-attaque générale. Mon beau-père
répète une fois de plus : « Avec lui, il n’y a rien à craindre. Les Boches, il connaît : il les a déjà vaincus. »
Dès notre arrivée à la maison, nous allumons la
radio et appelons ma mère, encore dans sa salle de
bains. Tous trois debout devant le poste, nous n’attendons que quelques instants avant que le speaker de
Radio-Toulouse annonce, à midi et demi pile, le nouveau président du Conseil. Je n’ai jamais entendu la
voix du Maréchal, les discours à la radio étant rares
et réservés aux seuls hommes politiques.
Dès le premier mot, pourtant, je suis surpris par
sa voix chevrotante. Elle ne correspond pas à l’idée
que je me fais du chef. L’hommage aux combattants
et la pitié pour les réfugiés qu’il exprime d’abord ne
me concernent pas. Je guette la phrase annonçant
la revanche. Soudain, j’entends ces mots inouïs :
C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui
qu’il faut cesser le combat .
La phrase suivante me fait comprendre le désastre irréversible :
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire
pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec
nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur,
les moyens de mettre un terme aux hostilités .
La guerre est donc finie, irrémédiablement perdue ?
Tandis que ma mère s’affaisse entre les bras de
mon beau-père, je me précipite vers l’escalier et
monte dans ma chambre afin de dissimuler mes
larmes. Jeté en travers du lit, je sanglote en silence.
Ainsi, la France est morte sans que j’aie combattu !
Comment est-ce possible ? Ma patrie, l’orgueil de
ma vie, la gloire de l’univers, désignée par Dieu pour
défendre sa foi, pour répandre la civilisation, modèle
du genre humain… Morte à jamais ?
Je m’accuse de ne pas l’avoir aimée suffisamment,
de ne pas lui avoir tout sacrifié puisque je suis en
vie tandis qu’elle agonise. Ce malheur absolu me
révèle combien j’aime mon pays.
Brusquement, je me dresse : l’information qui m’a
terrassé est un cauchemar sans fondement puisque
la France est invincible. Les Boches seront impuissants si quarante millions de Français se lèvent
contre eux. Il faut soulever le pays d’une fureur
sacrée, l’organiser et combattre. Que peuvent quelques centaines de milliers de soldats allemands
devant quarante millions de Français résolus ?
Avant toute réflexion, une certitude : Dieu n’a pas
abandonné la France ; c’est Pétain qui l’a trahie. Sous
le couvert de sa gloire, il a dupé tout le monde, y
compris Maurras. Le mythe du « vainqueur de
Verdun » s’effondre : trop vieux. Il jette l’éponge
alors que la victoire est à portée de main.
Tous les journalistes — et Thierry Maulnier hier
encore — l’ont écrit : vaincre est affaire de volonté.
N’est-ce pas au Maréchal qu’il pensait en
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