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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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patrie. Ce lien mythique transforme
aussitôt ma sympathie en complicité.

    Dimanche 7 juillet 1940

     

    Escapade à Piccadilly

    À 9 heures, je retrouve Briant à la messe, dans le
hall, où une prière en commun est prononcée pour
les morts de la guerre et pour la résurrection de la
France. Philippe Marmissolle est à côté de moi.

    Lorsque, à la fin de la cérémonie, nous chantons
le cantique familier (« Dieu de clémence, Dieu
d’espérance, sauvez, sauvez la France au nom du
Sacré Cœur »), je n’ai pas besoin de fermer les yeux
pour me retrouver dans la chapelle de Saint-Elme,enivré d’encens et de fleurs. En dépit du passage du
temps, je reconnais les mots qui ont insufflé en moi
l’amour de la patrie. À cette époque, je n’en comprenais pas le sens. En ce dimanche d’exil, la foi
réactivée de mon enfance m’impose la certitude d’être
l’instrument d’un destin préparant la résurrection
de la France.

    Contrairement à ce que j’avais craint, Philippe
Marmissolle et ses camarades engagés dans l’aviation
demeurent à l’Olympia. Le soir, on nous octroie
une permission. Nous décidons, Philippe et moi, de
fêter notre première soirée de liberté.

    À 5 heures, nous sortons. À la porte de l’Olympia,
un sous-officier nous distribue un papier ronéotypé
comportant notre nom et l’adresse de l’Olympia. Il
nous indique aussi que les autobus qui s’arrêtent
devant l’entrée conduisent directement à Piccadilly
Circus. Le bruit court à la cantine qu’il s’agit du
cœur de Londres, lieu de perdition et de bonne fortune.

    Vue de l’impériale, la ville défile comme un film,
en sens inverse de notre arrivée. À mesure que nous
avançons, elle m’apparaît différente de celle entrevue il y a cinq jours. Est-ce la liberté ?

    Bien que la circulation soit clairsemée, les autos
sont de plus en plus luxueuses à l’approche du centre. Passionné de voitures, je repère un nombre
impressionnant de Rolls Royce conduites par des
chauffeurs en livrée, m’évoquant Biarritz.

    Nous longeons Hyde Park, où, à ma surprise, les
gens sont installés dans des transats posés au milieu
du gazon, tandis que d’autres sommeillent ou flirtent,
allongés sur le sol. Tous profitent du soleil de cet
été glorieux, tandis que d’élégants cavaliers caracolent
dans les contre-allées. En bordure du parc, j’observeles résidences luxueuses, alternant avec de vastes
immeubles en brique aux architectures composites.
On est loin du décor en pierre de taille de Bordeaux.
Les portiers d’hôtels en uniforme chamarré semblent les gardiens d’un culte spécial.

    Nous suivons Piccadilly Street, passons devant le
Ritz monumental, puis le receveur, qui nous a repérés, cligne de l’œil : « Piccadilly Circus, next . » Sans
comprendre, nous savons que nous sommes arrivés.

    Devant nous, au milieu d’une place, s’élève un
monument protégé de sacs de sable gainés de bois.
J’apprends qu’il recouvre une statue d’Éros gambadant. Descendant du bus, je m’apprête à jeter mon
ticket sur le sol lorsque je remarque l’incroyable
propreté du trottoir et de la chaussée. Honteux, je
le remets dans ma poche.

    Tous les civils sont coiffés de feutres de formes
diverses, parfois de chapeaux melon, mais la plupart portent des « Éden », aux bords roulés et ourlés d’un tissu, qui sont aussi à la mode à Bordeaux.

    Quelques soldats en permission déambulent, mais
leur allure nonchalante relève plus d’un pittoresque
de week-end que d’un paysage de guerre. La qualité
du drap de l’uniforme et la coupe de leur pantalon,
identique à celui des civils, m’étonnent. Même parmi
les jeunes, nous sommes presque les seuls à nous
promener tête nue.

    Avançant vers la place animée, je constate qu’elle
est le carrefour vers lequel convergent six avenues.
La foule nonchalante et visiblement heureuse se
presse vers les cinémas, les théâtres et les nombreux
dancings des alentours. N’étaient les monuments
ensevelis sous des sacs de sable et les plaques rouge
et blanche signalant les shelters (« abris »), il n’yaurait aucune trace du conflit, encore moins dans
le spectacle de la foule.

    Nous achetons quelques journaux. Ne parlant qu’un
anglais de collège, nous restons perplexes devant les
gros titres. Vers 6 heures, nous songeons à dîner,
car nous devons être rentrés à l’Olympia pour
l’appel de 9 heures, et le trajet dure

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