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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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m’invitaient à dîner. Je tente de fuir
sous le pavillon de la politesse : je ne veux pas déranger. Croyant mon refus de pure forme, ils insistent
et nous passons à table.

    Ce qui aurait dû être une fête est un supplice. Pourne pas les décevoir, je m’efforce de goûter à tous les
plats d’un repas conçu spécialement pour un exilé
affamé.

    En dépit de ma gêne gastrique, je tâche de faire
bonne figure et les interroge sur la vie à Londres, le
caractère du peuple anglais, les raisons de leur
amabilité envers les Français, leurs ennemis héréditaires et qui les ont trahis. À la fin, j’avoue ma surprise devant l’atmosphère de vacances qui semble
régner partout, alors qu’ils sont la prochaine cible,
et peut-être la prochaine victime de Hitler.

    M. Zonneveld prend la parole en premier : « Depuis
longtemps, vous n’êtes plus des ennemis puisque
l’Entente cordiale, passionnément vécue en Grande-Bretagne, a tout effacé. Vous oubliez que les souffrances de la guerre de 1914 ont créé des liens
inaltérables. » Je balaie cet argument en me souvenant des récits de mon beau-père sur l’« inutilité »
de l’armée anglaise. J’évite les mots blessants qu’il
utilisait, mais déclare que c’est l’héroïsme des soldats
français qui a empêché les Allemands d’envahir la
Grande-Bretagne, de l’Angleterre jusqu’à l’Écosse.

    Mme Zonneveld relaie alors son mari : « Ils ont
quand même perdu sept cent mille hommes. » Elle
ajoute : « Quant à Jeanne d’Arc, vous semblez
oublier que ce sont les Français qui l’ont livrée aux
Anglais et que c’est un évêque français qui l’a
condamnée à mort. Napoléon, lui, a choisi d’être leur
prisonnier alors qu’il pouvait s’évader vers l’Amérique.
Vous découvrirez qu’il est très populaire ici. Son
buste orne l’intérieur de nombreux Britanniques : ils
n’ont pas intérêt à rabaisser l’ennemi qu’ils ont
vaincu ; où serait leur mérite ? »

    Son mari confirme ce que m’ont dit les serveurs
de Pinoli’s  : « Vous arrivez à l’époque des vacances.Il fait beau, pourquoi les Anglais n’en profiteraient-ils pas ? À quoi bon devancer le malheur ? Ne vous
fiez pas aux apparences : les Britanniques ne ressemblent pas aux Français, ils ne “gesticulent” pas.
Ils ont à leur tête Winston Churchill, un chef intraitable. C’est peut-être un original, mais, vous pouvez
me croire, il ne cédera jamais. Autour de lui, certains ministres, Chamberlain et Halifax, sont prêts à
négocier. Ils n’ont pas sa détermination, ni le même
caractère. N’oubliez pas que la Grande-Bretagne n’a
jamais été envahie depuis mille ans. »

    Même si mon double dîner me met à la torture, je
suis touché par leur accueil et le foyer qu’ils m’offrent
dans ce pays inconnu. Chez eux, je retrouve les
manières et la culture de ma famille. Je découvre
aussi, pour la première fois de ma vie, une façon
sympathique d’évoquer la France et les Français,
qui n’exclut pas une distance critique. Mais ne suis-je pas souvent moi-même plus violent encore pour
dénoncer la bêtise, la crasse et la lâcheté des
Français ? Les Zonneveld se gardent de mes outrances. Je perçois toutefois dans leur réserve polie un
jugement sévère à l’égard des Français, dans lequel
je suis englobé.

    De retour à l’Olympia, je découvre que les préoccupations de mes camarades sont assez différentes
des miennes. Jean-Pierre Missoffe, fils d’un amiral,
a profité de sa permission pour aller avec son frère,
Dominique, à l’ambassade de France, qu’ils ont trouvée fermée  : les relations diplomatiques sont rompues
depuis le 4 juillet. Ils se montrent soucieux : « Nous
avons l’impression que le gouvernement français vadéclarer la guerre à l’Angleterre. C’est ce qui peut
nous arriver de pire. Pour quel parti opteront nos
familles ? »

    Cette interrogation dramatique me révèle la chance
que j’ai eue de quitter la France en accord avec mes
parents. Je plains sincèrement ceux qui sont partis
sans revoir les leurs, comme Laborde, Gouillard,
Roy et mes autres camarades du Léopold II .

    Beaucoup des volontaires n’ont pas de ces états
d’âme. Avec un flair incroyable, ils retrouvent à
Londres leurs habitudes : bars, filles, etc., autant
d’occasions d’explorations amoureuses et de prouesses sexuelles. Autour de Piccadilly, les prostituées
ont fière

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