Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
déjà grande. Il était clair que, dans les années à venir, il faudrait compter avec lui.
La question anglaise est au fond le véritable enjeu du conflit qui oppose Geoffroy d’Anjou et Louis VII dans les années 1150-1151. Louis VII ne souhaite pas que la couronne d’Angleterre échoie aux Angevins ; avec la Normandie et l’Anjou, ils sont déjà très puissants. Sans oublier que le roi Étienne appartient à la famille de Blois-Champagne, dont les liens avec la couronne de France sont de plus en plus solides et ne cesseront de s’affermir comme nous le verrons par la suite. On peut penser que, des deux côtés, on n’est tout d’abord pas mécontent de se tester : le Capétien pour calmer les velléités d’indépendance des Plantagenêt et ces derniers pour marquer leur volonté de jouer un rôle politique de premier plan.
À l’été 1150, Louis VII semble avoir pris la décision d’envoyer son armée vers la Normandie. L’opération doit se faire avec Eustache de Boulogne, fils d’Étienne de Blois. Le roi de France a ouvertement pris le parti d’Étienne et veut mettre son fils sur le trône normand. Suger intervient alors pour tempérer le roi. Bien qu’il soit officiellement retiré des affaires de gouvernement, le vieil abbé a conservé beaucoup d’influence sur Louis. On le voit pendant cette fin d’année, alors qu’il vit ses derniers mois, intervenir à plusieurs reprises. « Nous supplions Votre Majesté de ne pas vous précipiter dans une guerre contre le comte d’Anjou, que vous avez fait duc de Normandie, sans avoir au préalable pris le conseil des archevêques, des évêques et de vos grands. Ce qu’en effet vous aurez entrepris sans prendre conseil, vous ne pourrez ni le défaire avec honneur ni le parfaire sans grande peine. Et puisque vous avez déjà convoqué vos hommes, nous vous conjurons d’entendre leur conseil et de suspendre tout projet jusqu’à ce que vous ayez consulté vos fidèles, c’est-à-dire les évêques et les grands : ceux-ci, en vertu de la fidélité qu’ils doivent au royaume et à la couronne, vous aideront de toutes leurs forces à parfaire ce qu’ils vous auront suggéré », écrit le vieil homme. Comme le remarque Yves Sassier {6} , « Suger considère que le casus belli n’est pas sérieux et qu’en cas d’action du roi contre son vassal, le tort serait du côté de l’agresseur. » Il est possible que l’abbé ait avant tout cherché à protéger le roi et n’ait pas senti tout ce que l’ambition des Angevins pouvait engendrer, et particulièrement celle du jeune Henri. Les interventions de Suger calment à l’évidence le roi mais le vieux sage meurt le 13 janvier 1151. Le texte de l’une de ses dernières lettres à Louis VII nous est parvenu : il sonne comme une ultime recommandation de celui qui aura été, jusqu’à son dernier souffle, un des plus intègres et des plus sages serviteurs que la royauté française eut à son service : « Que Votre Majesté se souvienne qu’elle quitta sa terre pour visiter l’Église d’Orient au prix de tant de périls et de morts, et qu’elle laissa le noble royaume des Francs dans les mains de l’Église de Dieu. Veillez à ne pas perdre les fruits d’un tel labeur ; ayez soin de l’Église de Dieu, défendez les pauvres et les veuves. En agissant ainsi vous pourrez, avec l’aide de Dieu, résister à toutes les puissances du monde et aux embûches de vos adversaires qui sont nombreux. »
Au printemps 1151, le conflit reprend. On en connaît mal la chronologie. C’est à cette période que Geoffroy fait prisonnier le fameux Giraud Bellay. Louis VII attaque par la Normandie, toujours accompagné d’Eustache de Boulogne. Le jeune Henri Plantagenêt réagit avec rapidité et se porte à la rencontre des troupes de Louis, à la tête d’une puissante armée. S’ensuit un face-à-face… où rien ne se passe. Du côté Plantagenêt on déconseille au jeune duc d’attaquer son suzerain ; de l’autre côté, Louis VII préfère se retirer. Un coup pour rien ! Geoffroy le Bel, lui, est resté en Anjou et reprend le château de la Nue, près d’Alençon, tombé aux mains du frère de Louis VII, Robert de Dreux, un an auparavant. Le roi décide en représailles de lancer une nouvelle offensive vers la Normandie, et cette fois elle sera d’envergure. Il concentre un très grand nombre de soldats entre Mantes et Meulan ; les Plantagenêt font de même de
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