Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
l’autre côté de la frontière normande. La bataille semble inévitable quand Louis VII contracte une forte fièvre qui le cloue au lit. Il reporte sa décision d’attaquer. Un chroniqueur raconte : « Il s’ensuivit que, grâce à l’intervention d’hommes religieux et sages, une trêve fut conclue entre les deux parties jusqu’à la guérison du roi. »
En fait d’« hommes religieux et sages », il s’agit surtout de Bernard de Clairvaux. Il offre sa médiation et son autorité morale est telle que les deux parties ne peuvent qu’accepter.
Voilà qui nous ramène au mois d’août 1151, dans le Palais de la Cité sur les bords de la Seine.
*
Autour du roi et de la reine sont réunis quelques-uns des barons. Geoffroy le Bel et son fils ont amené avec eux Giraud Bellay, recouvert de chaînes comme un malfaiteur. Cette exhibition du prisonnier est très théâtrale et tient beaucoup de la provocation. Bernard de Clairvaux s’enflamme, exhorte le comte d’Anjou de libérer son prisonnier, affirme que le détenir ainsi est une faute grave et que s’il le libère, il lui donnera l’absolution… ! Geoffroy, dont la réputation de mauvais caractère n’est plus à faire, répond : « Je refuse de libérer mon captif et si c’est une faute de détenir un prisonnier, je refuse d’en être absous ! » L’assemblée est outrée ; on ne refuse pas l’absolution d’un moine que la chrétienté entière regarde comme un saint homme. Le saint homme en question le prend lui-même très mal et menace : « Prenez garde, comte d’Anjou, de la mesure dont vous avez mesuré on vous mesurera ! »Geoffroy considère alors que, précisément, la mesure est comble et, sous l’œil médusé des assistants, quitte la salle avec son fils. Juste avant de les suivre, le pauvre Giraud s’approche de Bernard de Clairvaux et lui demande sa bénédiction : « Ce n’est pas de mon sort que je me plains, mais je pleure sur les miens qui vont mourir comme moi.
— Ne crains pas, répond Bernard, sois sûr que Dieu va vous secourir, toi et les tiens, et plus tôt que tu n’aurais osé l’espérer. »
Effectivement, quelques jours plus tard, la rumeur court, bientôt confirmée, que Geoffroy le Bel accepte de libérer son prisonnier et que le jeune duc Henri va prêter hommage au roi pour la Normandie. La raison exacte de ce revirement ne nous est pas parvenue. Les historiens en sont réduits à des conjectures : les menaces de Bernard de Clairvaux ont peut-être porté à retardement – nous avons du mal aujourd’hui à mesurer justement, parce qu’il n’y a pas d’équivalent, le poids de l’autorité morale qu’il représentait –, ou le comte d’Anjou a préféré éviter un conflit direct avec le roi de France… En fin de compte, tout s’arrange et le sang n’a pas été versé. La cérémonie d’hommage se déroule à Paris dans les jours qui suivent.
Le roi de France a incontestablement remporté un grand succès diplomatique. Les Plantagenêt ont cédé sur tous les points et de plus l’hommage a lieu pour la première fois à Paris, siège du pouvoir capétien, et non à la frontière du duché comme c’était jusque-là l’usage. De nombreux historiens y ont vu la marque d’un renforcement du pouvoir royal. Mais pour les Angevins, ce n’est pas non plus une si mauvaise affaire. Louis VII, acceptant l’hommage d’Henri pour la Normandie, le confirme par le fait dans la possession de son duché. Le roi ne peut plus désormais défendre les prétentions d’Eustache sous peine de se mettre lui-même hors les lois de la féodalité. Les Plantagenêt ont de ce fait les mains libres dans leur lutte pour le trône d’Angleterre et sont assurés que Louis n’interviendra plus. Le coup n’est pas si mal joué !
Sur le plan personnel, Louis VII va payer très chèrement cette réussite. C’est durant ces journées d’été qu’Henri et Aliénor se sont rencontrés et que la reine est tombée amoureuse du jeune duc de Normandie. Nous ne savons pas comment la rencontre s’est effectivement passée. Ont-ils pu se parler en tête à tête ? Était-ce un coup de foudre ? N’ont-ils fait qu’échanger des regards au cours de banquets – il y en a certainement eu. Henri lui a-t-il fait la cour ? Ont-ils réussi à voler quelques instants, seuls, pour marcher dans les jardins du palais, bercés par la douceur d’un crépuscule d’été ? Belle image romantique…
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