Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
Encore une fois, on n’en sait rien. Les chroniqueurs ne se sont pas privés de laisser aller leur imagination. Je l’ai dit, ils écrivent tous longtemps après les événements et la suite de l’histoire influence leur récit. Pour Gautier Map, archidiacre d’Oxford, « Henri […] fut l’objet des regards libidineux d’Aliénor, reine de France. Elle était mariée au très pieux Louis… » Giraud de Barri écrira : « Le bruit court qu’Henri eut l’audace de déshonorer la reine de France par une liaison charnelle adultérine », ce que semble croire également un moine cistercien : « […] au comble donc d’un énorme excès, le roi Henri, selon ce qu’on raconte, osa polluer la reine de France par une copulation adultérine », et le moine outré fait porter la responsabilité de la faute à Aliénor qui « ne se conduisait pas comme une reine, mais bien plutôt comme une courtisane ». Et au point où en sont les choses, pour faire bonne mesure, on prête à la reine une liaison antérieure avec le père d’Henri : « Le comte Geoffroy d’Anjou […] avait été l’amant de la reine Aliénor. Aussi mit-il souvent son fils en garde, et tenta-t-il de toutes les façons – à ce que l’on raconte – de le dissuader de toucher à cette femme, tant du fait qu’elle était l’épouse de son seigneur, que du fait qu’elle avait naguère intimement connu le comte Geoffroy lui-même », nous dit Giraud de Barri. Quelle est la part de vérité, de ragots colportés ou de médisance volontaire ? La question restera à jamais sans réponse.
Dès la rencontre, Aliénor a-t-elle immédiatement songé au divorce et à épouser Henri qui, si l’on en croit l’ Historia rerum Anglicarum de Guillaume de Newburgh, « conviendrait mieux à ses mœurs » ? C’est ce que semblent penser tous les chroniqueurs mais on a vu dans quelles conditions ils relatent les événements et on peut s’interroger sur la fiabilité de leurs analyses. Il est certain que quelque chose s’est passé entre Henri et Aliénor cet été-là et ce « quelque chose » est réciproque. Qu’Aliénor soit lasse d’un mari dont la manière de vivre s’apparente plus à celle d’un moine qu’à celle d’un époux, c’est évident et lui-même le sent ; mais de là à se précipiter à la tête d’un garçon de dix-huit ans qui n’est alors « que » le duc de Normandie et sous l’autorité de son père ; de là à abandonner une couronne royale ! Bien que « fougueuse » comme on le disait lors de son mariage avec Louis, j’imagine Aliénor femme de tête. Au moment où elle rencontre le jeune Henri, son père Geoffroy a trente-sept ans, il est dans la pleine force de l’âge. Il va continuer à se battre pour s’emparer de la couronne d’Angleterre et il a des chances de gagner. Henri en héritera sûrement, mais dans combien de temps ? Aliénor a trente ans, et elle n’a enfanté que des filles. Tout cela compte. Certains biographes ont prêté à Aliénor, dès l’été 1151, l’intuition de l’empire qu’elle allait fonder avec Henri, je n’y crois pas. Je vais même jusqu’à penser qu’elle ne va pas, à ce moment-là, envisager réellement de divorcer ; elle reste une femme résignée qui croit son heure passée, même si la rencontre avec le jeune Plantagenêt l’a fait « vibrer » comme jamais. Pour qu’elle décide de se séparer de Louis, il faut un autre événement, totalement inattendu.
Le 7 septembre 1151, à peine deux semaines après qu’il eut quitté Paris, on annonce la mort de Geoffroy le Bel. Sur le chemin de retour vers l’Anjou, il a fait une halte près de Château-du-Loir. La chaleur était étouffante et le comte a voulu se baigner dans la rivière. La fièvre l’a pris dans la soirée, et malgré tous les remèdes et les soins connus, il est mort quelques jours plus tard.
La nouvelle bouleverse tout le monde et surtout change la donne géopolitique. Henri devient un personnage de tout premier plan, et le trône d’Angleterre se rapproche de lui. Dans un premier temps, le jeune duc concentre entre ses mains l’Anjou, le Maine et la Normandie. Avant de mourir, Geoffroy le Bel a fait part de sa volonté à ses conseillers. Pour conquérir le trône d’Angleterre, Henri aurait besoin des ressources des deux domaines Normandie et Anjou. Une fois roi, il conservera la Normandie et devra remettre à son frère, Geoffroy, le Maine et l’Anjou ;
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