Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
qu’à un degré très éloigné et dont l’Église s’était jusque-là parfaitement accommodée. C’est plus la « politique » de l’Église et de la monarchie qui est en cause que la réalité de la consanguinité de Louis et d’Aliénor. Selon toute vraisemblance, cette consanguinité était connue lors de leur mariage, quinze ans plus tôt, et n’avait pas suscité de difficulté.
L’Église s’est intéressée tard au mariage. Elle n’en a véritablement codifié le sacrement qu’en 1137, pendant le second concile de Latran. Les lois sur la consanguinité qui vont servir à annuler le mariage de Louis et d’Aliénor, datent du concile de Rome en 1059 et sont très strictes. L’union est interdite entre cousins jusqu’au septième degré et cette interdiction s’étend à la parenté par alliance et à la parenté spirituelle issue du baptême (entre filleuls, parrains ou marraines). La grande majorité de la population ne connaît son ascendance que jusqu’au niveau des grands-parents, l’Église n’a donc pas les moyens d’intervenir. En revanche, la généalogie des grandes familles féodales est connue et c’est sur elles que l’institution ecclésiastique veut exercer un contrôle. Les interdits de l’Église en matière de consanguinité servent avant tout ses desseins politiques en obligeant les familles à négocier avec elle d’éventuelles exemptions ou, à l’inverse, lui donnant la possibilité d’user de l’arme de l’excommunication. Avant que le troisième concile de Latran, en 1215, ne vienne assouplir le droit canon sur le mariage et ne ramène l’empêchement pour consanguinité à quatre générations, le XIIe siècle marquera une forme d’apogée dans la dureté de ces lois dont l’Église s’est servie pour lutter contre l’essor de la chevalerie – un essor auquel Henri et Aliénor seront étroitement liés – et exercer son contrôle sur les alliances politiques entre puissants. Car le mariage est, pour les princes de l’époque, un « outil » diplomatique fréquemment utilisé et le mode d’alliance le plus sûr. À partir du XIe siècle, il a joué un rôle de premier plan dans la manière dont s’est établie la haute société féodale. « Le roi, les grands princes féodaux, resserrèrent le lien d’amitié vassalique en distribuant des épouses aux plus dévoués de leurs fidèles : le mariage fut instrument d’alliances », souligne Georges Duby dans « Le Chevalier, la femme et le prêtre {7} ». Et nous verrons qu’Henri et Aliénor, servis notamment par les nombreux enfants qu’ils auront ensemble, sauront très habilement user de cet instrument.
L’annulation du mariage entre Louis et Aliénor – et par extension le remariage de la duchesse d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt – a beaucoup intéressé les historiens dès les premiers travaux sur l’histoire du Moyen Âge au XIX e siècle ; Achille Luchaire, dans l’ Histoire de France publiée sous la direction d’Ernest Lavisse, écrivait : « Le renvoi de la reine Aliénor fut une faute politique des plus graves, commise, il est vrai, à une époque où les souverains ne savaient pas encore sacrifier leurs convenances personnelles à la raison d’État {8} . » Luchaire se trompe sur les intentions qu’il prête à Louis VII, mais pas sur l’importance de l’événement. « … à l’époque même, ce divorce provoqua d’amples remous. On en parla. On en écrivit beaucoup et longtemps », remarque Georges Duby {9} . Tous les chroniqueurs s’y attardent, quel que soit l’angle sous lequel ils racontent et la cause qu’ils défendent. C’est dire que la séparation entre le roi de France et la duchesse d’Aquitaine est l’événement à placer au centre même du XIIe siècle. Et ce divorce, c’est Aliénor qui l’a décidé. Guillaume de Newburgh dit très clairement qu’elle a voulu se séparer de son mari et que celui-ci y a consenti. Ce qui nous donne une indication utile sur le caractère même d’Aliénor. Peu de femmes ont, dans l’histoire, pris une décision qui pesa aussi lourdement sur le cours des événements à venir.
Dès la nullité du mariage prononcée, Aliénor quitte Beaugency. Il lui faut à peine quelques jours pour partir de la ville avec une petite escorte et se diriger vers Blois, première étape de son retour vers Poitiers, capitale de son Poitou. Elle laisse à Louis – ou plus exactement aux nourrices, comme
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