Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
l’ensemble des terres continentales y compris celles qui appartiennent à Aliénor. Il faut néanmoins rester prudent sur la réalité du pouvoir dont dispose la jeune femme. Nous n’avons aucun moyen de savoir si elle a la mainmise sur les finances, ce qui est bien évidemment le plus important. De même, rien ne nous permet d’affirmer qu’Aliénor détenait le pouvoir de justice, le plus essentiel après celui de l’argent et des armes. Marie Hivergneaux le remarque : « Les chartes qui nous sont parvenues montrent donc Aliénor agissant librement, bien plus librement que ne l’autorise théoriquement le droit de l’époque, mais uniquement en tant que duchesse d’Aquitaine… Elle n’apparaît guère cependant que face à des interlocuteurs ecclésiastiques, même s’ils ne sont pas des moindres, mais jamais, par exemple, au sein d’une assemblée judiciaire ou recevant l’hommage de ses vassaux. Faut-il alors conclure que malgré une assez grande liberté d’action et une légitimité affirmée et reconnue par ses vassaux – et pas seulement ecclésiastiques –, Aliénor ne gouvernait pas complètement l’Aquitaine, puisque nous ne saurions affirmer qu’elle contrôlait réellement les finances, la justice ou l’armée ? Cela est tout à fait possible. Mais peut-être faut-il tout simplement se résigner à ne porter qu’une conclusion partielle et regretter les lacunes de nos sources : l’absence de livres de comptes, par exemple, ne permet pas de savoir qui percevait alors les revenus du duché ».
Malgré les réserves qui viennent d’être évoquées, les premières années du couple formé par Aliénor et Henri constituent une période remarquable dans le partage des fonctions gouvernementales. Le jeune homme a volontairement donné du champ à sa femme car, encore une fois, sa seule préoccupation est de conquérir la couronne anglaise ; pour cela il a besoin d’être soutenu financièrement et dégagé des tâches administratives sur les terres continentales.
À Angers, nous voyons se préciser l’entourage de la duchesse, sa cour. Autour d’elle, se trouvent réunis les principaux officiers des États aquitains et angevins, y compris Geoffroy, le frère d’Henri, sans doute placé là afin que la duchesse le « surveille » et s’assure qu’il ne fomentera pas de nouvelles rébellions de vassaux dans les territoires d’Henri pendant que celui-ci guerroie de l’autre côté de la Manche. Ces officiers militaires constituent en quelque sorte le deuxième cercle de l’entourage de la duchesse. Dans le premier cercle on trouve essentiellement des Poitevins et des gens de sa famille. En cela, Aliénor s’inscrit dans la tradition des comtes-ducs qui ont toujours trouvé leurs principaux et fidèles alliés dans la noblesse poitevine. Il semble également qu’Henri ne soit pas intervenu en exigeant, par exemple, que sa femme s’entoure pour partie d’Angevins ; cela aurait tout à fait pu se produire et n’aurait pas semblé exorbitant à l’époque. Au premier rang des proches d’Aliénor, il y a ses deux oncles le vicomte Hugues II de Châtellerault et Raoul de Faye. Ce dernier est un fidèle remarqué déjà pendant la croisade alors qu’elle était reine de France. Au précédent elle fait plusieurs dons cette année-là : le fief de Beaumont, le domaine de Bonneuil-Matours et les droits de chasse dans la forêt de Moulinière ; manière très habituelle de resserrer les liens et de manifester sa reconnaissance. Fidèle parmi les fidèles, Saldebreuil de Sanzay assume les fonctions de premier connétable de la cour. Il a été nommé l’année précédente, lorsque Aliénor est retournée en Poitou après son divorce, et occupera ce poste des plus stratégiques dans l’entourage de la duchesse jusqu’en 1172 ; soit vingt ans ! Autre proche de la duchesse, le panetier Hervé qui est à ses côtés depuis 1140 et qui recevra en récompense, vers 1156-1157, la prévôté de Poitiers. Enfin, toujours parmi les proches, on trouve Eble de Mauléon qui sera nommé sénéchal de Poitou, et de nombreux seigneurs poitevins comme Briand Chabod, les sires de Melle ou les Mauzé. Autant de noms qui apparaissent comme témoins dans des actes officiels et dont certains sont présents à la cour des comtes-ducs depuis le Xe siècle.
Très vite après le mariage, on voit se dessiner la spécificité des entourages propres de chacun des époux. Autour d’Henri,
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