Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine

les fidélités seront avant tout normandes ; auprès d’Aliénor elles seront poitevines. Et cela perdurera tout au long de leur vie et particulièrement lorsqu’ils en viendront à une opposition armée.
    *
    Aliénor et Henri se rejoignent en Normandie au début de l’année 1154. Ils passent ensemble à Rouen les fêtes de Pâques. Le futur roi d’Angleterre peut enfin contempler ce bébé qui représente l’avenir de la dynastie. Aliénor, elle, rencontre pour la première fois sa belle-mère, la fameuse Mathilde, l’Emperesse, qui inlassablement, depuis trente ans, se bat pour retrouver un héritage que son fils va enfin recueillir. L’auteur anonyme de la Gesta Stephani trace de Mathilde un portrait apparemment sans complaisance : « Elle manifesta immédiatement les plus grands airs ; d’un orgueil démesuré, ne montrant ni dans ses mouvements ni dans sa démarche l’humilité d’une douceur féminine, mais marchant et parlant de façon plus hautaine et arrogante que d’habitude comme si, par là, elle se faisait reine de toute l’Angleterre et devait en avoir toute la gloire {15} . » Mathilde n’a jamais oublié qu’elle est fille de roi et femme d’empereur. Le portrait que le chroniqueur de l’époque trace de l’Emperesse est confirmé par une anecdote où l’on voit cette même Mathilde pendant la courte période où, en 1139-40, les Plantagenêt régnaient sur Londres, face à une délégation de bourgeois londoniens venus se plaindre du trop grand nombre de taxes qu’elle leur imposait : « Tandis que les citoyens parlaient, elle, l’œil farouche, le front barré d’une ride, sans rien sur son visage qui rappelât la douceur féminine, éclata d’une colère intolérable {16} . » À la suite de cette colère, Mathilde fut obligée de quitter Londres précipitamment, menacée de la vindicte populaire ; elle n’y remit plus jamais les pieds. Le chroniqueur Gautier Map lui aussi donne une image négative de la mère d’Henri. Selon lui, elle était son « mauvais génie » et il est convaincu que « l’influence de sa mère était à l’origine de tous les travers du roi » : « J’ai entendu dire que c’était sa mère qui lui recommandait de faire tramer les affaires de tout le monde, de garder longtemps les bénéfices qui tombaient entre ses mains et d’en toucher les revenus, tout en donnant espoir à ceux qui les convoitaient. Elle justifiait cette politique avec une phrase cruelle : “L’épervier orgueilleux qui se voit souvent retirer ou cacher la viande qui lui est offerte devient plus aguiché, plus enclin à obéir et à se discipliner {17}  » on se souvient que c’est le même Gautier Map qui accusait Aliénor de regards « libidineux » sur Henri lors de leur première rencontre. À l’en croire, le jeune homme n’est responsable de rien, c’est sa femme qui le séduit et sa mère qui lui donne de mauvais conseils !
    Si les deux femmes partagent une même conscience de leur haute naissance et des droits qu’elle leur confère, ce qui différencie Aliénor de sa belle-mère est le charme et un vrai sens de la diplomatie. La raideur a probablement coûté son trône à Mathilde ; la duchesse d’Aquitaine saura laisser d’elle une tout autre image. Aucun bruit de mésentente entre les deux femmes ne nous est parvenu. Elles étaient de la même trempe ; on peut penser qu’elles se sont reconnues comme telles. Toutes les deux ont porté une couronne leur donnant un prestige exceptionnel, toutes les deux sont intelligentes, ambitieuses, et toutes les deux n’ont qu’une seule envie, aider Henri à aller au bout de son destin. Le jeune homme peut mesurer, au printemps 1154, la chance qu’il a d’être entouré, épaulé, soutenu par l’amour de deux femmes de tempérament.
    Henri et Aliénor séjournent quelques mois en Normandie. Il n’est pas très difficile d’imaginer l’ambiance autour d’eux à cette période où leur avenir s’annonce sous les meilleurs auspices. Leurs retrouvailles semblent se passer au mieux. Aliénor peut bientôt annoncer qu’elle est à nouveau enceinte ; ceux qui, du côté de la France capétienne, continuaient de la penser stérile, la naissance de Guillaume n’étant qu’un « coup de chance » , commencent à déchanter.
    La santé d’Étienne de Blois est très mauvaise. Le vieux roi se meurt, il n’y aura pas longtemps à attendre pour que le couple prenne possession de la