Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
couronne anglaise. Ils s’y préparent. Si pour les Plantagenêt ceindre cette couronne n’est après tout qu’une juste reconnaissance de leurs droits d’héritiers directs de Guillaume le Conquérant, c’est aussi pour Henri et Aliénor prendre en charge une lourde tâche. Ils n’ignorent pas l’état calamiteux dans lequel se trouve le royaume anglais. Ils n’ont pas trop de ces quelques mois en Normandie pour tenter de mesurer la situation et de réfléchir aux décisions qu’ils auront à prendre sitôt couronnés.
L’Angleterre est en guerre civile depuis vingt ans. Tout a commencé à la mort du père de l’Emperesse, Henri 1er Beauclerc, en 1135. Son règne avait été une période de prospérité pour le pays. L’homme était « bon » , aimé et respecté. Né sur la terre anglaise, il aimait ce pays avec lequel il se sentait en totale communion. Henri 1er était un second de famille parvenu au trône à la suite de la mort accidentelle de son frère. Son autre frère, Robert Courteheuse, avait hérité du duché de Normandie. Beau soldat s’étant couvert de gloire en croisade, Robert était un piètre politique. Il avait contesté les droits de son frère au trône, une guerre entre les deux hommes s’était ensuivie à laquelle Henri avait mis fin en 1106 en battant son frère lors de la bataille de Tinchebray, petite ville de l’Orne. Robert fut enfermé jusqu’à la fin de ses jours. Henri réunit dans ses mains le duché de Normandie et la couronne anglaise. Plus anglais que normand, le roi accentua encore ses attaches en épousant Mathilde, fille du roi d’Écosse Malcolm III, s’assurant par là la tranquillité sur les frontières nord de son royaume. Henri 1er avait gouverné son pays avec sagesse. Il avait su ménager l’Église tout en dotant l’Angleterre d’une administration civile solide et efficace, placée entre les mains de son chancelier, Robert de Salisbury. Des commissions de juges itinérants sillonnaient le pays, chargées de contrôler les sheriffs locaux et d’assurer que les « petits » n’étaient pas lésés dans l’application de la loi. Il fallait tenir fermement toutes sortes de pouvoirs individuels toujours prêts à se servir au détriment du bien public. Le roi y avait parfaitement réussi, offrant à son peuple trois décennies de stabilité et de prospérité. Les Anglo-Normands aimaient ce duc-roi austère qui avait une conscience élevée de ce qu’il représentait et de sa fonction ; en cela il était différent des souverains de son temps.
Une anecdote dépeint assez bien le personnage qui n’était pas exempt d’une certaine « barbarie » – du moins telle que nous l’entendons aujourd’hui. Henri Beauclerc avait fait aveugler le chevalier Luc de la Barre, officiellement parce qu’il avait résilié un accord de paix passé entre eux. Le châtiment était sévère vis-à-vis d’un homme qui n’était pas son vassal, mais avait juste reçu sa paix ; la rejeter était au plus un acte de défi, pas un crime. Le supplice qu’Henri 1er avait fait infliger au chevalier avait surpris ses contemporains – cela se passait en 1124 – pourtant habitués à des pratiques similaires car la cause profonde du courroux royal était ailleurs. Luc de la Barre se livrait à une activé très courante au XII e siècle, celle de la chanson satirique. Il avait pris le roi pour cible et sans doute avec un certain talent, si l’on en juge par sa réaction. Henri devait certainement manquer du fameux sens de l’humour britannique.
Souverain heureux, le roi était aussi un homme comblé, père de deux enfants, Mathilde, notre « Emperesse », et un fils aîné, Guillaume Adelin, destiné à lui succéder, sans oublier un nombre tout à fait remarquable de bâtards. Cette parfaite image de bonheur royal fut détruite tragiquement une nuit de traversée de la Manche. Au début de l’hiver 1120, le roi et sa famille – à l’exception de sa fille Mathilde, qui se trouvait en Allemagne, mariée à l’empereur Henri V – regagnaient l’Angleterre après quelques mois passés dans le duché normand. La suite prit la mer à Barfleur, répartie sur deux navires. Dans l’un se trouvaient le roi et sa toute jeune belle-fille de quatorze ans, Mathilde d’Anjou. Dans l’autre, la Blanche-Nef, avaient embarqué Guillaume Adelin et une grande partie de la jeunesse de la cour. Le bateau était aux mains d’un pilote chevronné, connu
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