Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
offensive, il trouvera le roi de France sur son chemin, au besoin les armes à la main. Je veux imaginer que Louis éprouve une certaine fierté à faire montre d’autorité et à faire un peu ravaler sa morgue au Plantagenêt ; après tout ce n’est qu’un petit rééquilibrage de tendances à la suite des derniers mois écoulés au cours desquels le roi de France a dû s’incliner devant la volonté polie mais ferme de son rival. Encore une fois, il s’agit avant tout d’une question de principe. Le roi de France ne peut en aucun cas rivaliser sur le terrain militaire avec les souverains anglais, mais il sait que son autorité est morale et c’est sur ce terrain-là qu’il se situe. C’est une partie d’échecs à laquelle nous assistons où l’intimidation est une des pièces maîtresses. Louis sait que, quelle que soit l’issue de cet affrontement – qu’Henri recule ou qu’il s’oppose militairement à son suzerain sans l’ombre d’un doute avec succès –, il aura les moyens de tirer habilement parti d’une situation nouvelle où le duc de Normandie apparaîtra comme celui qui aura violé le serment féodal.
Les deux hommes se quittent sur le constat d’un désaccord profond.
Henri a-t-il senti que le roi de France lui tendait une sorte de « piège moral » ? C’est ce que Régine Pernoud {36} semble penser. À son avis, le roi d’Angleterre a sérieusement songé à reculer à ce moment-là, mais il était trop tard. Venus de tous ses États, les hommes convergent vers Poitiers. Y compris ses plus grands vassaux ! Le roi Malcolm d’Écosse a débarqué à la tête d’une flotte de quarante navires ; Thomas Becket est également en route avec sept cents chevaliers de sa propre maison militaire, sans oublier les centaines de mercenaires chèrement payés… C’est une impressionnante armée qui va se regrouper à Poitiers. Autre signe intéressant, l’ancien ennemi Thibaud de Blois, estimant sans doute que l’étoile capétienne pâlit, offre ses services. Difficile de décevoir toutes ces ardeurs ! On peut aussi considérer qu’Aliénor, qui est l’âme de cette campagne, n’a pas du tout envie de reculer et qu’elle fait pression en ce sens sur son mari. Pour elle, il s’agit d’une affaire d’honneur familial. Elle a été élevée dans l’idée qu’on avait dérobé le comté de Toulouse à sa famille ; elle veut reprendre son bien.
Le jour de la Saint-Jean, l’immense armée réunie au pied des remparts de Poitiers se met en route vers le sud. Henri est en général un homme pressé, pourtant cette fois-ci l’armée des Plantagenêt se déplace avec une lenteur déconcertante. Sur le trajet, Henri s’empare de quelques places fortes du Quercy et du Rouergue, mais tout cela n’est pas très glorieux au regard des moyens déployés… Plus déconcertant encore, l’armée fait une halte à Périgueux où les habitants assistent à une éblouissante parade militaire. Deux armées se succèdent, celle des mercenaires, impressionnante de discipline, et l’armée féodale, flamboyante d’étendards, de chevaux apprêtés et d’armures rutilantes. Temps fort de la journée : le roi d’Angleterre fait chevalier son vassal Malcolm d’Écosse lequel, à peine adoubé, fait chevaliers à son tour trente de ses jeunes vassaux. De l’avis général, la cérémonie et la parade sont tout à fait réussies. Mais à quoi cela sert-il ? Qui Henri cherche-t-il encore à impressionner ? Dans l’entourage du roi, on ronge son frein. Thomas Becket s’impatiente, il s’est pris au jeu militaire et veut en découdre. Aliénor est sans doute aussi dans le camp des « belliqueux ». D’autant que de bonnes nouvelles arrivent : la ville de Cahors s’est soulevée contre le comte de Toulouse et a fait hommage au duc d’Aquitaine ; Raymond-Bérenger d’Aragon est en route avec son armée qui s’est jointe aux hommes du comte de Béziers…
À la fin de la première semaine de juillet, l’armée des souverains anglais arrive devant Toulouse. Là ils apprennent que le roi de France les a précédés. Il est arrivé dans la ville probablement vers la mi-juin, entouré d’une escorte d’à peine quelques dizaines d’hommes. Il a rapidement fait consolider les défenses de la cité en l’absence de Raimond de Saint-Gilles en guerre contre des vassaux dont la rébellion était soutenue par le roi d’Aragon. Le comte de Toulouse a eu à peine le temps de revenir
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