Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
à reconnaître que cette période de la vie du couple est marquée par une sorte de prépondérance d’Aliénor. Du côté d’Henri, l’Angleterre est pacifiée et n’est plus menacée sur ses frontières. La Normandie et l’Anjou sont également en sécurité sur leurs frontières depuis les accords avec Louis VII et les Blois-Champagne. Quant aux vassaux, ils se tiennent tranquilles ; il faut dire que la puissance de leur suzerain les y incite ! C’est donc Aliénor qui va imprimer sa marque sur la politique du couple, du moins dans les premiers temps de la décennie 1160-1170. Elle veut reprendre en main ses États : deux ans d’absence physique du duc et de la duchesse des territoires poitevins et aquitains n’ont fait que conforter les vassaux dans leur tendance naturelle à l’indépendance, voire à la fronde. C’est la raison pour laquelle Henri a fait un exemple avec Guy de Lusignan. La leçon a porté. La seule présence des souverains sur leurs terres calme le jeu. Le couple peut donc se concentrer sur ses ambitions toulousaines.
Les droits d’Aliénor sur le comté de Toulouse sont incontestables. Ils viennent de sa grand-mère Philippa de Toulouse. Guillaume IX le Troubadour avait épousé Philippa, la fille unique du comte Guillaume IV de Toulouse. À la mort de celui-ci, en 1093, son frère Raimond IV de Saint-Gilles s’était emparé du comté au détriment de Philippa, sa nièce. Le mari de cette dernière ne l’avait pas entendu de cette oreille. Il avait beau négliger sa femme et la tromper autant qu’il lui était possible – souvenons-nous de la belle Dangerosa de Châtellerault –, il se montrait beaucoup moins négligent lorsqu’il s’agissait de son héritage ; la situation ressemble d’ailleurs beaucoup à celle que connaîtra Mathilde l’Emperesse avec ses droits sur l’Angleterre et la Normandie à la mort de son père, Henri Beauclerc… on sait comment cela s’est terminé ! Le début du XIIe siècle avait été marqué, au sud-ouest de ce qui deviendra la France, par une lutte permanente entre le comte de Toulouse et le duc d’Aquitaine. En 1109, Raimond IV avait quitté ce bas monde et son fils Alphonse-Jourdain lui avait succédé sans que cela n’enterre la hache de guerre, loin de là même, puisqu’en 1114 Guillaume IX d’Aquitaine s’emparait de Toulouse.
En 1119, profitant que le duc d’Aquitaine guerroyait de l’autre côté des Pyrénées, les habitants de la ville s’étaient soulevés en faveur d’Alphonse-Jourdain et l’année suivante Guillaume IX avait dû abandonner la place. C’est Aliénor qui avait ensuite repris le flambeau de la querelle du temps de son mariage avec Louis VII ; en 1141, ils avaient ensemble monté contre Alphonse-Jourdain une expédition qui s’était soldée par un échec. Par la suite, le fils d’Alphonse-Jourdain, Raimond V, avait épousé Constance de France, la sœur de Louis, faisant par la même occasion entrer le comté de Toulouse dans la zone d’influence capétienne, ce que Louis avait pu à juste titre considérer comme une victoire diplomatique car jusque-là les comtes de Toulouse s’étaient toujours montrés farouchement indépendants du pouvoir royal.
Pour les souverains anglais, la situation se présente au mieux. L’actuel comte de Toulouse, Raimond V de Saint-Gilles, est un personnage violent qui s’est attiré l’antipathie de nombre de ses vassaux et de ses voisins. De plus, la situation géopolitique de la région a beaucoup changé ces dernières années, permettant de nouvelles combinaisons d’alliances.
Probablement dans le courant de février 1159, Henri et Aliénor, entourés de leur cour, sont à Blaye, non loin de Bordeaux, où ils reçoivent Raymond-Bérenger IV, comte de Barcelone et roi d’Aragon. Il est la puissance politique montante de l’autre côté des Pyrénées depuis la disparition, deux ans plus tôt, d’Alphonse VII de Castille, beau-père de Louis VII et allié traditionnel des comtes de Toulouse. Cette mort avait eu pour conséquence le partage en deux de ses États – il était roi de Castille et de Léon. Son fils Sanche était monté sur le trône de Castille mais était mort prématurément un an après, en 1158, cédant la place à un enfant en bas âge et laissant surtout les coudées franches au rival catalo-aragonais. Dès 1158, Raymond-Bérenger avait prêté main-forte à son neveu, comte de Provence, en butte aux velléités
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