Amours, Délices Et Orgues
vous, êtes-vous seul ?
– Seul.
– Voulez-vous vous amuser un peu ?
– Volontiers.
– Eh bien ! montez avec moi aux troisièmes galeries, il y a une place à côté de moi.
Un peu intrigué, j’acceptai.
D’avance, mon camarade se tenait les côtes.
Dès que le rideau fut levé, il sortit un mouchoir enveloppé dans un journal, et, de ce mouchoir, il dégagea un morceau de glace emprunté sans doute au café d’en bas.
Puis, se penchant sur la balustrade, les deux mains en dehors, il attendit.
Juste au-dessous de lui, confortablement vautré dans un fauteuil de balcon, se tenait un gros monsieur d’une rare calvitie.
À la double chaleur de la main et de la salle, le bloc de glace se mit à fondre et, bientôt, – flac ! – une grosse goutte d’eau glacée s’abattit sur le crâne nu du gros homme.
L’effet fut quasi-foudroyant.
Le pauvre monsieur passa instinctivement la main sur sa tête et leva le nez.
Flac ! une autre goutte sur l’œil !
Et puis une autre sur le front ! Et puis une autre sur l’occiput !
Alors, mon farceur jugea bon de suspendre son arrosage pendant quelques instants.
Après un court armistice, reprise des hostilités.
L’infortuné spectateur, de plus en plus arrosé, prit un parti héroïque : il changea de place avec sa femme, une jaune, maigre et longue femme.
– Ah ! c’est comme ça ! Eh bien ! tu vas voir ! grommela mon fumiste.
Et lui aussi changea de place avec moi, se remettant ainsi d’aplomb sur le crâne de sa victime.
Le manège recommença et dura jusqu’à la fin de l’acte.
Quand nous descendîmes, le monsieur chauve menait un gros tapage au contrôle :
– C’est dégoûtant ! Il pleut dans votre sale théâtre ! Si jamais j’y réf… les pieds !
Pendant le troisième acte, nous nous amusâmes également très fort.
(Je dis nous, car, gagné par l’exemple, je pris part à la combinaison.)
Seulement, comme le monsieur chauve avait déserté son fauteuil du balcon, nous en fûmes réduits à égoutter notre glace sur les épaules et les seins d’une vieille dame décolletée jusqu’au nombril.
ABAISSEMENT DU PRIX DU GAZ
Les Parisiens sont bien bêtes de payer leur gaz six sous le mètre cube, quand ils peuvent s’en procurer d’excellent, à Londres, pour moins d’un penny.
Et le transport ? m’objecterez-vous.
Le transport, le transport, c’est là où je vous attendais ! Quand vous avez dit le transport , vous avez tout dit.
– Eh bien ! tas de serins, non seulement le transport ne coûterait rien, mais il rapporterait.
Vous ouvrez de grands yeux, lecteurs, et de non moins grandes oreilles.
Je vous le répète : non-seulement le transport ne coûterait rien, mais il RAP-POR-TE-RAIT !
Une telle assertion mérite un brin d’explique.
Les Compagnies de chemins de fer, comme d’ailleurs les Messageries maritimes et autres, font payer le transport des marchandises, selon le poids desdites denrées.
Or, je vous prie, que pèse le gaz d’éclairage ?
Ne se contentant pas de peser rien du tout, il pousse la coquetterie jusqu’à peser moins que rien, en vertu du principe d’Archimède.
(Une courte parenthèse, si vous avez un instant : avez-vous remarqué qu’on parle toujours du principe d’Archimède et non de ses principes, dont il était, d’ailleurs, dénué à ce point, que sortant du bain il se promenait tout nu dans les plus fréquentées artères de Syracuse, pour se sécher, disait-il ?)
Il arriverait donc qu’en bonne logique, les Compagnies devraient remettre, au lieu de les percevoir, des sommes pour le transport de cette marchandise à poids négatif.
Les choses se passeraient-elles ainsi dans la pratique ? Je ne crois pas.
Les administrations feraient intervenir la question, peu négligeable, j’en conviens, du volume, et en profiteraient pour exiger des argents énormes.
C’est alors que j’offre la ressource de l’aérostat.
Et là, encore, c’est du gratuit trimballage, ou à peu près.
Car rien ne nous empêcherait, mes bons amis, de profiter du ballon pour rapatrier en sa nacelle le linge blanchi à Londres de stupides mais rémunérateurs snobs.
Il suffirait que cinquante ou soixante mille commerçants parisiens missent mon idée à exécution, pour voir la toute-puissante Compagnie du Gaz baisser un peu ses prix.
Oui, mais voilà : en France, on est fort pour crier, mais dès qu’il s’agit d’attacher le grelot, il n’y a plus
Weitere Kostenlose Bücher