Apocalypse
L’autre homme, qui avait retiré son casque, était assis sur un strapontin collé à la paroi du véhicule.
Il s’était écoulé moins de deux minutes entre le moment où les policiers avaient été abattus et la fuite de la camionnette. Le conducteur jeta un regard dans son rétroviseur pour vérifier que personne ne les suivait. Il aperçut les mouvements affolés de la foule et ceux des badauds qui se dirigeaient en direction de la voiture banalisée aux portières ouvertes. À l’arrière, le Canadien n’arrêtait pas de trembler, il balbutia :
— Vous êtes fou ! Vous avez tué des flics !
La jeune femme sourit, s’approcha de lui en se tenant aux parois du véhicule. Elle s’assit à son tour sur la couverture. D’un geste brusque et précis elle projeta un index à l’ongle acéré à la jonction du cou et de la mâchoire de Landry. Le Canadien hurla de douleur et roula sur le côté. Elle se plaqua contre lui et enfonça aussitôt le même index dans l’orbite de sa victime. Le tissu mou de l’œil céda sous la pression et éclata dans un bruit sourd. L’homme hurla et tenta de se protéger avec ses mains menottées. La souffrance le faisait se tordre dans tous les sens. La tueuse contempla son index recouvert de liquide cristallin.
— C’est beau. L’œil crevé me rappelle le film de Buñuel, Un chien andalou.
— C’est presque de l’art conceptuel, dit l’homme qui était resté silencieux. Notre invité doit se sentir honoré.
Le Canadien, le visage en sang, éructa :
— Que… que voulez-vous ?
La jeune femme essuya son index trempé sur la tempe du trafiquant.
— Parler d’œuvres d’art. C’est ton rayon, paraît-il ?
Hubert Landry avait du mal à discerner son visage, un voile noir obscurcissait tout son champ de vision droit.
— Je vous en prie…
La camionnette s’arrêta. Une voix intervint de la cabine :
— La rue est tranquille. Tu peux y aller.
La blonde saisit un sac, en fit jaillir un miroir et alourdit son maquillage. D’une main habile, elle noua ses cheveux avec un ruban fuchsia. Une paire de talons fit son apparition, suivie d’une jupe courte en tergal. En quelques minutes, la blonde diaphane se transforma en une banlieusarde mauvais chic mauvais genre. Elle ouvrit la porte quand son compagnon lui tendit un sac de courses en plastique rayé.
— Tiens, n’oublie pas ça. L’appareil est à l’intérieur. Quand elle fut sortie, le jeune homme se tourna vers le Canadien qui gémissait.
— Un peintre étonnant, ce Poussin. Surtout ce dessin, Les Bergers d’Arcadie . Ça te dit quelque chose ?
13
Jérusalem
Golgotha
An 33
Marie Madeleine avait choisi de marcher la nuit, le long de la route pavée qui montait vers les hauteurs de la ville. Le chemin était désert. On n’entendait ni le cahot sourd des charrettes ni le bêlement plaintif des brebis menées au marché. Les paysans des environs étaient restés chez eux comme les habitants de la ville. On craignait l’émeute.
Partout dans les vieux quartiers, des espions parcouraient les rues, s’arrêtaient dans les tavernes et annonçaient qu’un grand complot allait éclater. Que les disciples du faux Messie qui avait été crucifié la veille se réunissaient en secret pour préparer l’insurrection. Que ces suppôts de Satan allaient provoquer une répression de la part des Romains. Que le sang des innocents allait couler à cause de ces traîtres et de ces hérétiques. Qu’il fallait les dénoncer et les livrer.
Marie Madeleine baissa son voile pour mieux voir. La lueur bleutée de l’aube gagnait le haut de la route. Déjà on voyait le feuillage des arbres se découper sur le ciel. Les jardins se rapprochaient de sa vue. Un cri rauque la fit sursauter. Sa respiration, haletante, s’accéléra. De nouveau un cri retentit suivi d’un coup de sifflet. Marie Madeleine sauta dans les fourrés qui bordaient le chemin.
Judas s’était levé tôt pour sortir dans le jardin. Il regarda sans la voir l’aube qui se levait et fixa en frissonnant les troncs gris et noueux des oliviers. Le monde lui faisait horreur. Il repoussa la porte d’un geste brusque et alluma la lampe à huile. La pièce unique sentait la sueur et l’abandon. Jetée au sol une paillasse achevait de pourrir. Cela faisait trois nuits que Judas s’était réfugié ici. Trois nuits à ne plus dormir, le démon au ventre.
Judas fixait la cruche d’eau. Un filet de salive
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