Apocalypse
à expiration. Il se rapprocha de la glace. Depuis quelques mois, des cernes étaient apparus qui semblaient s’installer à demeure. Et il n’avait pas été le seul à s’en apercevoir. Un matin, il avait trouvé, posé bien en évidence sur son bureau, un tube de crème antirides. Blague de mauvais goût d’un collègue plus accablé que lui par l’âge ou délicate attention anonyme d’une secrétaire compatissante, il l’ignorait, mais, depuis ce jour, il ne cessait de se regarder dans les miroirs. Et le résultat commençait à l’inquiéter. Il ne faisait plus le même effet aux femmes. Certes elles le trouvaient toujours charmant mais il avait remarqué que, certains jours de fatigue, les trentenaires croisées dans la rue ne lui rendaient pas son regard, comme s’il était devenu transparent.
— Papa, je commence sans toi, j’ai trop la dalle ! cria son fils.
Il sortit de sa contemplation.
— Pas question, hurla Antoine.
Il traversa le couloir en direction de la cuisine. L’odeur devenait plus forte. Les paroles du frère Obèse lui trottaient dans la tête. Une tenue sous les vestiges du Temple de Salomon . Chaque année, surtout pour le solstice, le 21 juin, les obédiences aimaient célébrer des tenues dans des lieux insolites. Une tradition. La forêt de Brocéliande, le mont Saint-Michel, les pyramides égyptiennes, le temple de Delphes… autant de lieux mythiques où les francs-maçons se réunissaient à l’abri des regards des profanes pour bâtir des temples éphémères.
Antoine n’était pas dupe : le frère Obèse n’allait pas faire le déplacement en Israël uniquement pour la beauté d’une tenue.
Une irritation sourde monta en lui.
Il se sentait déjà manipulé.
12
Saint-Ouen
Marché aux Puces
19 juin 2009
La Peugeot 307 grise roulait au ralenti sur l’avenue Michelet depuis la porte de Clignancourt. De chaque côté de la rue, les trottoirs des Puces étaient encombrés d’étals de chaussures de sport de marque, tombées du camion, et de survêtements de contrefaçon. Une foule bigarrée, touristes, clients habitués, revendeurs à la sauvette, curieux, allaient et venaient avant de se perdre dans le dédale des différents marchés. Les camionnettes des commerçants garées sur les passages non autorisés rétrécissaient l’avenue, réduite à deux minces couloirs. Le conducteur de la Peugeot ne cachait pas son énervement.
— Je te l’avais bien dit, mon lieutenant, qu’on n’aurait jamais dû passer par là. C’est jour des Puces. C’est blindé de chez blindé. On a mis vingt minutes pour faire cinquante mètres sous le périph. Il fallait prendre par la porte de la Chapelle et l’autoroute, direct jusqu’à l’aéroport du Grand Charles.
Le passager assis à côté de lui semblait prendre son mal en patience.
— Fais pas chier. Ce trajet a été imposé par le central pour des raisons de sécurité. De toute façon, on est de permanence la journée entière. Poireauter dans une caisse ou au poste, c’est pareil. Et ici, on voit du paysage. En plus on fait découvrir à notre touriste canadien les beautés de la capitale. Hein, Hubert ?
Le passager menotté, assis à l’arrière, ne répondit pas. Son regard était perdu dans le vague.
— Le monsieur n’est pas très causant, ajouta le quatrième homme, assis à côté du prisonnier. Je le comprends. Vraiment pas terrible comme coin.
Le prisonnier ne voulait pas engager la conversation. Depuis qu’il avait été arrêté par la police française, « Valmont », de son vrai nom Hubert Landry, ne comprenait pas comment il avait été dénoncé. Il n’avait rien vu venir, lui qui faisait attention en toutes circonstances. Son esprit tournait en boucle. Se faire prendre pour un malheureux dessin de Poussin et deux toiles mineures, c’était plutôt stupide. Lui qui avait convoyé des Picasso, des Renoir et des Botticelli dans le monde entier, il tombait pour des peintres de second plan. Il n’aurait jamais dû accepter le transfert du Poussin, mais le prix versé par le commanditaire était trop alléchant. 600 000 dollars pour cette malheureuse esquisse : comment refuser une telle somme ? Il savait que l’œuvre avait été volée par les nazis mais, bon, ce n’était pas la première fois dans sa carrière qu’il achetait ce type de bien. À sa grande surprise, les flics français ne s’étaient plus intéressés à lui, se contentant de prendre sa
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