Apocalypse
humecta la commissure de ses lèvres et glissa sur sa barbe. L’ancien disciple avait de plus en plus soif, mais il n’osait pas boire.
La veille il avait aperçu son reflet dans l’eau.
Et ce qu’il avait vu lui faisait peur.
Une patrouille romaine venait de surgir. L’officier qui la commandait porta la main à sa bouche et siffla. Plus bas, en direction des champs, un même son lui répondit. Il se tourna à droite et siffla une nouvelle fois. Un écho remonta aussitôt. Marie Madeleine se tapit entre les arbustes. Les Romains étaient en train de ratisser les pentes de la colline. Elle porta la main à sa bouche pour assourdir sa respiration. À sa gauche, un bruit de sandales foulant l’herbe se rapprocha. Un cliquetis de métal résonna, puis s’éteignit. Un légionnaire venait de s’arrêter. Marie Madeleine leva les yeux vers lui. Le casque du soldat brillait sous les premiers rayons du soleil. Il observait le terrain, la main sur le pommeau de son glaive. Brusquement il abaissa sa lance et fouilla les fourrés. La lame siffla entre les herbes comme un serpent en colère. Marie Madeleine vit l’éclat frôler son visage. Un spasme déchira son ventre et la nausée envahit sa bouche.
Un sifflement retentit sur les hauteurs. Le légionnaire remit sa lance à la verticale et se dirigea vers la route. La poitrine de Marie Madeleine se contracta. Elle avait peur.
À pas cadencés, la patrouille descendait le chemin pavé, récupérant au passage les légionnaires qui avaient fouillé les bas-côtés. Le martèlement rythmé des sandales de cuir résonna entre les arbres, puis s’estompa.
Le silence revint.
Marie Madeleine était toujours au sol. Le sang battait à ses tempes. La peur contractait son ventre secoué de spasmes violents.
— Seigneur, murmura-t-elle, je remplirai ta mission. La Vérité n’est pas de ce monde.
La main de Judas cessa d’écrire.
« Moi, Judas, homme et fils de l’homme, j’ai écrit afin que ce que j’ai vu et entendu, ne reste pas inconnu des temps à venir. »
Le doute venait de le reprendre. Qui oserait le croire, lui qui avait trahi ? Déjà les disciples du Christ, dans leur exil, le maudissaient, le couvraient d’opprobre. Pour eux, il était pire qu’un chien.
« Que mes amis me pardonnent, que ma famille ne se couvre pas le visage de honte en gémissant, que mon nom ne soit pas synonyme de trahison, que ma mémoire ne soit pas souillée à jamais par mon geste …»
Trop tard, sans doute. Ponce Pilate même l’avait lâché. Pire, il faisait courir le bruit que Judas avait été acheté. Que sa trahison avait un prix. Qu’il avait livré le Christ à la mort… pour quarante deniers.
Quand Marie Madeleine se releva, la voie était libre. La maison de Judas était située au-dessus de la vieille ville. À l’orée d’un champ d’oliviers qu’il exploitait lui-même. Marie Madeleine arriva par l’arrière. Le volet de la fenêtre qui donnait sur les arbres était ouvert. Des taches de lumière dansaient sur la chaux du mur.
Lentement, Marie Madeleine s’approcha. Dans la pièce où brûlait la flamme vacillante d’une lampe à huile, Judas écrivait. Elle entendait sa respiration.
« Je n’ai été que l’instrument du destin. Quand Caïphe m’a révélé la menace, la Révélation m’a foudroyé et Elle a effacé à jamais l’ancien Judas. J’ai su alors quelle était ma mission. Et je l’ai acceptée, quitte à être voué à l’ignominie et à l’exécration pour des siècles et des siècles. »
« … que l’on sache que j’ai pris mes précautions et que d’autres sont prêts déjà qui veillent et attendent les Signes. Quand viendra le Temps, ils se lèveront et frapperont à leur tour. »
Marie Madeleine se glissa par la fenêtre et s’immobilisa sur le sol en terre battue. D’un coup d’œil, elle balaya la chambre. Une paillasse, des jarres d’huile, une corde de chanvre suspendue à une poutre, des sacs remplis d’olives, un crochet où pendait une tunique… Judas venait de cesser d’écrire. Elle se colla contre le mur, près de la table. Elle pensa au Christ, à ses mains percées, à son front déchiré…
Une sourde colère s’empara d’elle.
L’ancien disciple s’empara des feuillets de papyrus et les glissa dans un étui de cuir usé. D’une main tremblante, il saisit une cordelette qu’il noua en croix autour de l’étui. Enfin, il prit un
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