Apocalypse
bois et le tendit à un prêtre. Sa main droite était gantée de rouge et portait l’anneau épiscopal, elle s’éleva comme pour faire un signe de croix et tomba d’un coup, aussi brutale qu’un couperet.
Le bourreau jeta sa torche dans le bûcher.
Quand ils quittèrent le Castel Vieux, le couple de pèlerins remercia une fois encore le portier de l’hôpital. L’homme, un vieux soldat mutilé, ne put s’empêcher de songer à l’injustice du sort : une si belle jeune fille, aveugle ! Il la regarda pendant que son « mari » rassemblait ses affaires. Elle portait une robe déchirée et de misérables chausses blanchies par la poussière. Elle tenait ses mains croisées sur sa poitrine. Un détail frappa le mutilé : le bout de ses doigts était crevassé et couvert de chaux. La malheureuse devait avancer à tâtons !
Mathilde saisit la main d’Aymon. Le chemin qui descendait du château vers la Seine était caillouteux. Elle sentait la chaleur du soleil danser sur sa poitrine. Elle respira à pleins poumons, mais une odeur âcre la fit tousser.
— Un paysan fait brûler des broussailles ?
Aymon regarda vers la ville avant de répondre. Une fumée noire montait en lourde spirale.
— Non, ne t’inquiète pas ! Au fait, tu es certaine d’avoir bien retenu le dessin ?
Mathilde se mit à rire.
— Mes doigts ne me trompent jamais. Et puis il vaut mieux, car j’ai tout effacé.
Elle chercha à tâtons la main d’Aymon pour la serrer dans la sienne.
— Dis-moi, où allons-nous ?
Le soleil brillait au loin. Comme une promesse.
— À Chinon, auprès du roi de France.
39
Jérusalem
Grotte de Sédécias
21 juin 2009
Dix ans !
La précision du chiffre ébranla Antoine. Et Cécile était là, devant lui, menue et blonde, les yeux brillants.
— En fait, je… parce que…
— Je ne te demande rien. Que fais-tu ici ?
— En mission. Une affaire en coopération avec la police israélienne.
— Tu n’es plus aux Renseignements généraux ?
— Non, répression du trafic des œuvres d’art. Je suis passé commissaire.
Cécile hocha la tête poliment. Cette promotion ne semblait guère l’impressionner.
— J’ai appris que tu avais divorcé…
La rougeur monta au front d’Antoine et la réponse lui manqua. Durant les deux ans de leur liaison, elle l’avait supplié de quitter sa femme. Il avait toujours refusé.
— Et tu vois ton fils ?
— Oui, il vient d’avoir quatorze ans. Il est…
— Je suis sûre qu’il est déjà plus grand que toi, coupa-t-elle, je me rappelle, il promettait beaucoup.
Marcas devint cramoisi. Un après-midi, Cécile l’avait accompagné à la sortie de l’école et elle avait longuement caressé les cheveux de cet enfant qui le privait de l’homme de sa vie.
— Et toi, tu…
— Non. Ni fils ni fille.
Un coup sec retentit sur le parvis. Le maître de cérémonie, sa canne à la main, donnait le signal de pénétrer dans le Temple.
— On se retrouve après la tenue.
L’orateur avait déjà bien entamé son sujet, sous l’œil attentif du Vénérable, le rabbin Isaac. Mais Marcas ne l’écoutait pas. Dans la semi-obscurité qui baignait le Temple, il tentait d’apercevoir Cécile.
Elle avait pris place à l’extrémité de l’une des Colonnes, là où Antoine ne pouvait la voir. Il avait juste eu le temps de voir filer la longue robe noire que portaient les sœurs de la Grande Loge féminine de France. C’est d’ailleurs dans l’atelier de cette obédience qu’il l’avait rencontrée et que sa vie avait basculé. Les souvenirs affluaient, comme portés par une rivière en crue. Tout ce qu’il avait cru enfoui à jamais ressurgissait avec la puissance d’un cheval au galop. Tout. Étrangement, le souvenir d’Aurélia s’était dissipé.
Antoine, impuissant, assistait à ce déferlement de sentiments. Il serra les poings et tenta de se reprendre. Après tout, il était venu pour assister à une planche sur un sujet qui l’intéressait et il allait s’y tenir. D’un coup sec, il tourna son regard vers l’orateur.
«… comme je viens de le développer, le Temple de Salomon tient une place capitale dans l’imaginaire et le rituel maçonniques. Il est l’image, la métaphore de notre propre destin de frères. Comme lui, nous sommes inachevés et comme lui, nous aspirons à notre propre construction. »
Dans la salle, plusieurs frères hochèrent la tête. Depuis sa
Weitere Kostenlose Bücher