Apocalypse
aucune piste. De toute façon, les tueurs n’appartiennent pas au monde des trafiquants d’art. L’enlèvement, la torture… ça ne colle pas. En attendant, si tu éclaircissais ma lanterne. Le frère Lieberman…
D’un geste des deux mains, le frère Obèse imita la forme d’un maillet. Antoine comprit aussitôt.
— D’accord, tu ne m’as jamais rien dit…
— Figure-toi que Lieberman travaille comme bénévole pour la Fondation Wiesenthal et, dans leurs placards, il y a un drôle de dossier…
— Wiesenthal, le chasseur de nazis ? s’exclama Antoine.
— Tout juste. Il y a quelques années, ils ont mis la main sur les archives d’un indic de la Gestapo, un certain Georges Balmont qui s’intéressait beaucoup à Nicolas Poussin.
— Et… ? souffla Antoine.
— Il y avait beaucoup de notes sur un tableau intitulé Et in Arcadia ego . C’est bien le titre de ton dessin, non ?
Stupéfait, Marcas hésita un instant avant d’interroger à son tour :
— Et toi, en quoi ça t’intéresse ?
Son interlocuteur baissa d’un ton.
— Tu sais bien que je n’aime guère voir sortir des affaires où des maçons sont mis en cause ?
— Je ne comprends pas.
— Eh bien, c’est qu’avant de travailler pour les Allemands, ce Georges Balmont était un frère. On l’appelait même le Maître.
Antoine n’eut pas le temps de réagir, le frère Obèse venait d’apercevoir un officier de la loge qui lui faisait signe.
— Tiens, toi qui t’intéresses aux Assassins 6 , regarde notre premier surveillant, il s’appelle Ibrahim ben Kacem. C’est un universitaire du Caire. Spécialiste des courants messianiques de l’islam. Autant te dire qu’en ce moment, il a du boulot.
Marcas acquiesça. Depuis l’invasion de l’Irak, les illuminés d’Allah pullulaient entre Bagdad et Bassorah. Certains levaient même de véritables armées et maintenaient des régions entières en état permanent d’insurrection.
— Il n’a pas de problème en Égypte ?
— Disons que les intégristes lui mènent la vie dure. Si en plus ils savaient qu’il était franc-maçon… Tu imagines. Bon, je dois y aller. On va installer le collège des officiers. Surtout reste discret sur tout ce que je t’ai dit.
Marcas le regardait s’éloigner, abasourdi, quand il entendit une voix douce derrière lui.
— Antoine…
Il se retourna, surpris. Un sourire vint à sa rencontre qui le fit aussitôt vaciller.
— Cécile ? Ici, à Jérusalem…
Le sourire remonta doucement jusqu’aux fossettes qui s’illuminèrent un instant.
— Tu te souviens de moi ? Ça me fait plaisir !
Antoine hésita avant de répondre. Une vague du passé remontait en lui. L’estomac lui brûla. Des images anciennes jaillissaient en rangs serrés. Cécile…
— Ça fait combien de temps ? Le sourire s’éteignit.
— Depuis que tu m’as quittée. Dix ans. Pile.
38
Rouen
30 mai 1431
Les rues de la ville commençaient à se remplir. Le supplice de la Pucelle avait été annoncé… Les Anglais surtout s’étaient faits les hérauts de cette condamnation, la diffusant auprès de tous leurs vassaux et alliés. Dans leur stratégie politique, la mort abjecte de Jeanne, brûlée pour hérésie, ne pouvait mieux les servir. Il fallait donc que le plus de monde possible puisse assister à l’exécution pour bien se convaincre que la Pucelle n’était point une sainte envoyée par Dieu, mais une vulgaire et misérable sorcière.
Aymon remontait à contre-courant le flot de passants avides d’assister au spectacle. Geoffroy se tenait à ses côtés.
— Non, passe par là.
— Ce n’est pas le chemin pour monter au Castel Vieux ?
— Exact, mais c’est le plus court pour aller à l’église Saint-Blaise.
— Pour y faire quoi ? s’étonna Aymon.
Un groupe de paysans, pris de vin, les sépara. Les mêmes qui, hier, jetaient des pierres sur les juges de la Pucelle fêtaient aujourd’hui sa mort prochaine. Geoffroy saisit son compagnon par la manche.
— Que crois-tu que tu vas faire quand tu seras entre les murs du château ?
Entre les murs : l’expression fit sourire Aymon.
— Je ne pense pas que l’on m’ait fait dégager la coursive de la tour de la prison pour rien.
— Exact, tu vas t’y engager jusqu’à l’endroit où tu as laissé une brèche à hauteur d’homme, tu t’en souviens ?
— Oui, il y a une pierre amovible.
— Eh bien, tu la descelleras et
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