Apocalypse
soleil pointait à l’horizon des montagnes du levant et embrasait les toiles blanches déchirées du camp de réfugiés, à l’entrée de la chaîne montagneuse.
Le massacre avait commencé une heure plus tôt. Cent cinquante hommes, femmes et enfants avaient été assassinés par balle ou au couteau. Les combattants janjawids n’avaient fait aucun quartier. Les cadavres étaient éparpillés un peu partout, par grappes à l’intérieur des tentes quand ils avaient été surpris dans leur sommeil, ou aux alentours. Les rigoles de sang humidifiaient la terre sèche, déposant un voile écarlate sur le sol battu. Des charognards déployaient leurs ailes sombres en faisant des cercles autour des fumées grises qui montaient vers le ciel.
À l’issue du carnage, les combattants avaient rendu leurs armes aux sous-chefs de brigades qui les rangeaient dans les 4 x 4 rutilants. Fusils chinois, grenades bulgares incendiaires : les armes étaient arrivées une semaine plus tôt par bateau. Un cargo battant pavillon du Liberia avait fait escale à Port-Soudan pour décharger les armes qui avaient ensuite transité jusqu’à Khartoum. Les douaniers locaux n’avaient pas été dupes des liasses de certificats accompagnant la cargaison, un container censé transporter des pièces détachées pour des tracteurs russes, à destination des exploitations agricoles de l’ouest du pays. De mémoire de Soudanais, on n’avait jamais rien cultivé dans les zones désertiques du Darfour. Une unité de l’armée régulière avait ensuite convoyé le contenu du container à travers le pays pour le livrer dans le camp des combattants janjawids, à l’est d’El Hadj City.
Moussa Alnasrif, chef Beggara de la première milice janjawid, se tenait debout devant la tente médicale frappée du sigle d’une ONG occidentale, et dont les dix membres avaient été égorgés sous les yeux des réfugiés, en prélude au massacre. Un mètre quatre-vingt-dix de muscles épais, le crâne rasé, le regard de braise, Alnasrif regardait avec satisfaction ses miliciens vêtus de treillis verdâtres souillés de taches sombres. Du sang des victimes. À ses pieds gisaient les cadavres d’une femme et d’un bébé qu’elle tenait encore dans ses bras. L’écho de sa voix retentit entre les parois des gorges toutes proches.
— Loués soient Dieu et son Prophète. Bientôt viendra le temps où le souffle d’aucun chien d’Infidèle ne polluera plus l’air de ce pays.
Il posa sa botte sur la tête de la femme abattue, comme s’il s’était agi d’un déchet traînant à ses pieds.
— Prenez ce que vous voudrez, c’est votre juste tribu pour votre action de purification.
Les soldats s’éparpillèrent vers les tentes pour rafler leur butin.
Alnasrif triomphait. À seulement vingt-cinq ans, après trois années passées dans les rangs d’Al-Qaïda en Afghanistan à guerroyer contre les Occidentaux, il avait créé une unité de choc dont la réputation dépassait désormais les frontières du pays. Fervent défenseur de l’Islam, il avait eu une nouvelle révélation trois mois auparavant, avant le ramadan, lors d’un songe. Le Très-Haut l’avait visité la nuit, sous la forme d’un arbre enflammé et lui avait révélé son destin. Le Prophète l’avait choisi, lui et lui seul, pour rétablir le royaume d’Allah sur cette terre. Il serait le nouveau Mahdi, celui qui porterait la parole unique pour rétablir la justice sur terre et conquérir à nouveau la corne de l’Afrique pour la plus grande gloire de Mahomet.
Alnasrif gardait sur lui le portrait de Muhammad Ahmad ibn Abd Allah Al-Mahdi, le chef politico-religieux du Soudan à la fin du XIX e siècle, qui avait embrasé le pays, soulevant les populations contre l’occupant anglais. « L’épée étincelante du prophète » , celui qui avait tué de ses propres mains le général Gordon à l’issue du siège sanglant de Khartoum, la première grande victoire de l’Islam soudanais contre les chrétiens. Mais il n’avait pas pu mener sa mission jusqu’au bout, car il avait été assassiné par les diables anglais quelques mois plus tard. Et lui, Moussa Alnasrif, avait été choisi pour devenir le nouveau Mahdi.
Le chef des Janjawids rentra dans la tente médicale, posa son pistolet sur lequel était gravée la première sourate révélée au prophète :
Al-Alaq, le caillot de sang. Récite au nom de ton Seigneur qui a créé tout, qui a créé l’homme à
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