Apocalypse
partir d’un caillot de sang.
Le sang, ses mains s’y baignaient depuis tant d’années. Il s’assit sur une chaise de toile. L’odeur des cadavres des Occidentaux empuantissait l’air confiné mais pour lui c’était comme un parfum délicieux. Il prit une cannette de soda dans le frigo qui contenait les médicaments et les poches de sérum.
Cela faisait trois ans qu’il faisait régner la terreur dans les zones autonomes, multipliant les raids meurtriers, pillant et dévastant pour imposer sa loi. La présence de tribus rebelles lui était intolérable jusqu’au plus profond de son âme. Comme une souillure. Fier de son inflexibilité, il avait lui-même montré à ses partisans comment exécuter un enfant en le tenant par les cheveux avant de lui trancher la gorge d’un geste rapide. Alnasrif n’y mettait aucun sadisme particulier, c’était juste une question d’efficacité. Si l’on tuait les pères et les mères en épargnant les enfants, ceux-ci brandiraient un jour l’épée de la vengeance.
Alnasrif ajusta son treillis et mit sa casquette. Il tenait à ce que lui-même et ses combattants aient une allure militaire. Au moment où il allait sortir de la tente, son aide de camp surgit en trombe, tout essoufflé.
— Le colonel arrive par hélicoptère. On doit l’attendre avant de repartir pour la base. Il vient d’envoyer un message au poste de transmission. Il sera là dans quelques minutes.
Alnasrif fronça les sourcils. Il n’aimait pas les visites surprises.
— Ce n’était pas prévu. Tu es sûr de la réception ?
— Absolument. Il a donné les codes d’identification.
Alnasrif congédia son subordonné. Le colonel, un militaire haut placé dans l’état-major à Khartoum, l’avait toujours soutenu. Il lui avait fourni les armes, obtenu toutes les informations sur les déplacements des populations qu’il attaquait et écoulait le butin des razzias. On disait que le colonel venait des tribus chrétiennes d’Éthiopie mais qu’il s’était converti depuis longtemps à l’islam. Homme de l’ombre, le colonel avait été d’un excellent conseil en matière d’exactions. Un an plus tôt, il avait donné l’ordre de punir une tribu musulmane rebelle. Il avait exigé que les enfants soient tous exécutés, mais que l’on épargne les parents. Le massacre des innocents avait provoqué une onde de terreur dans toute la région. Depuis, Alnasrif n’hésitait plus à utiliser le même procédé. Toutefois, depuis quelques semaines, il sentait que le militaire prenait ombrage de sa popularité grandissante dans la région. Le nom du Mahdi revenait sans cesse sur les lèvres de ses partisans comme un nouveau Prophète.
Il entendit le grondement sourd d’un hélicoptère qui se posait à côté du campement dévasté. Alnasrif cracha par terre de colère. Il ne supportait plus les visites du colonel, il n’avait même plus besoin de lui, sauf pour les armes et les munitions. De toute façon c’était un ancien chrétien. Lui était le Mahdi. Personne, sauf Dieu, ne lui donnait des ordres. Il sortit de la tente. Le soleil était monté de quelques coudées dans le ciel, mais déjà la température dépassait les vingt degrés. Une odeur pestilentielle montait de partout. Il vit arriver le colonel, un homme coiffé d’un béret, de petite taille avec une moustache noire ridicule, escorté par l’un de ses hommes. Alnasrif afficha un sourire éclatant.
— La paix soit sur toi, mon frère. Bienvenue chez ces chiens. Viens dans la tente, il y a de quoi boire.
Ils passèrent dans ce qui restait de l’antenne médicale. Le colonel inspecta avec dégoût les cadavres survolés par un essaim de grosses mouches vertes.
— La paix soit sur toi, Alnasrif. Mais je vois que tu as encore transgressé mes ordres. Je t’avais dit : plus de massacres, dit le petit homme d’une voix dure. Tes exploits sont connus des pays occidentaux, maintenant, et nous avons le plus grand mal à les calmer. Ils veulent renforcer les troupes de l’ONU.
Alnasrif éclata de rire.
— Parfait, mes hommes en ont assez de se battre contre des civils, ils se feront un plaisir de les étriper.
— Tu es bien sûr de toi.
— Ne suis-je pas le Mahdi ? J’ai eu la révélation de Dieu lui-même. Je suis invincible.
Le colonel s’assit sur le bord de la table.
— Alnasrif, c’est moi qui t’ai choisi et armé. Tu devais uniquement exécuter certaines missions dans cette région, pas
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