Au bord de la rivière T4 - Constant
Camille. Moi, en tout cas, j’ai jamais connu un garçon aussi serviable. Il est venu travailler deux grandes journées la semaine passée à faire les foins chez nous parce que Liam pouvait rien faire et il a jamais voulu être payé. Cet homme-là, pour moi, c’est de l’or en barre.
— Arrêtez d’essayer de me faire enrager, leur ordonna abruptement Bernadette, le rouge aux joues. Moi, je vous le dis, ça durera pas avec Laurence Comtois. Elle est même pas belle. Regardez-la ! Elle est petite et elle commence déjà à être grassette. Il y a pas un homme qui va être fier de se promener avec une fille comme ça à son bras, poursuivit-elle en adoptant un air supérieur.
— Va pas croire ça, ma sœur, lui conseilla Emma en prenant un air sérieux. Tu sauras que souvent ce sont les filles les moins belles qui se marient les premières. Elles ont d’autres qualités. Moi, j’ai entendu dire que Laurence était une fille patiente qui a un bon caractère. Depuis la mort de sa mère, il paraît que c’est elle qui tient maison et qui élève ses frères et ses sœurs. La femme de Télesphore Dionne, qui la connaît bien, dit qu’il y a pas plus gentille fille qu’elle à Saint-Bernard.
Donat s’approcha à ce moment-là des femmes pour leur signifier qu’il était temps de rentrer.
— Je vais juste dire deux mots à Constant Aubé et on part, annonça-t-il.
Marie et Bernadette quittèrent les trois autres femmes pour se rapprocher du boghei. Au dernier moment, Bernadette décida de suivre son frère jusqu’au petit groupe formé par les Comtois, Anatole Blanchette et sa femme ainsi que Constant. Contrairement à ses prévisions, le jeune homme ne se troubla nullement à la vue de son ex-flamme, ce qui dépita passablement la cadette de Marie Beauchemin.
— Constant, si je t’apporte mon attelage à réparer demain, est-ce que ça fait ton affaire ? lui demanda Donat.
— Pas de problème. Si je suis pas à la maison, t’auras juste à laisser ça sur la galerie. Je commence à avoir de l’ouvrage au moulin.
— As-tu l’intention de venir à la réunion de Tessier mercredi ?
— Ben sûr, mais demande-moi pas si je suis Rouge ou Bleu, dit en riant le meunier-cordonnier. Moi, j’ai des clients des deux bords de la clôture.
Le frère et la sœur saluèrent les autres membres du groupe et allèrent rejoindre leur mère déjà montée dans le boghei. Du coin de l’œil, Bernadette saisit le sourire moqueur de sa sœur Emma au moment où elle s’apprêtait à prendre place près de Donat sur la banquette avant de la voiture.
Ce dimanche-là, la jeune institutrice passa pratiquement tout son après-midi à se bercer à l’ombre, dans la balançoire, l’air boudeur. Elle réalisait peu à peu que si elle désirait ramener Constant Aubé dans son salon, elle allait devoir déployer des efforts autrement plus grands que le simple claquement de doigts dont elle s’était vantée à maintes reprises.
Après presque deux mois de séparation, elle n’avait toujours pas résolu son principal problème. L’aimait-elle vraiment, malgré sa boiterie et son visage qui n’était pas ce qu’il y a de plus beau ? Elle était encore incapable de répondre à cette question et cela la rendait malheureuse. Elle reconnaissait volontiers la bonté et la générosité de celui qui l’avait fréquentée plus d’un an. Il savait lire, écrire et il possédait de multiples talents… Mais qu’est-ce que les gens diraient dans son dos si elle acceptait de l’épouser ?
— Je suis certaine que la Laurence se pose pas ces questions-là, murmura-t-elle avec rage au moment où Xavier arrivait avec Catherine et la petite Constance pour souper.
Pour échapper aux idées noires qui l’habitaient, elle quitta la balançoire et alla prendre la fillette qu’elle ramena avec elle pour la bercer.
— Tu la gardes pas juste pour toi, l’avertit sa mère. Moi aussi, je veux la prendre, la petite.
L’enfant adoptée par Xavier un mois plus tôt avait déjà conquis le cœur de sa grand-mère, pour le plus grand plaisir de Catherine qui ne pouvait que sourire devant pareil accueil.
Le lendemain avant-midi, tel que prévu, Camille entraîna ses quatre enfants à l’autre extrémité de la ferme, près des taillis qui bordaient le boisé. Chacun, armé d’un contenant, commença à cueillir les petits fruits bleus, nullement incommodé par les stridulations entêtantes des insectes et le
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