Au bord de la rivière T4 - Constant
voulez-vous qu’il ait su ce qu’il vous fallait ? Il a peut-être la réputation d’être l’homme d’affaires le plus riche de la province de Québec, ajouta-t-il, mais ça l’a pas empêché depuis plusieurs années de faire faillite par-dessus faillite. Il trempe encore dans toutes sortes d’affaires plus ou moins louches… Qu’est-ce qui dit que ce n’est pas le même genre d’homme que les libéraux veulent nous imposer comme prochain député de notre comté ? Est-ce que c’est un autre Sénécal que vous voulez avoir pour vous représenter à Ottawa ? Demandez-vous ce qu’un homme comme ça va aimer mieux : se remplir les poches ou vous aider !
Durant près de quatre-vingt-dix minutes, l’arpenteur-géomètre énuméra tout ce dont le comté avait besoin pour se développer et comment il entendait s’y prendre pour obtenir de l’aide du gouvernement central.
Les deux frères Beauchemin demeurèrent près de leur voiture pour surveiller leurs tonnelets de bagosse autant que pour en servir aux assoiffés. Cette fois, pas question de laisser quelqu’un en trafiquer le contenu, comme cela s’était produit aux dernières élections provinciales.
Quand la réunion prit fin, on n’eut à déplorer aucun chahut des libéraux de la région et les gens se retirèrent plutôt satisfaits de ce premier contact avec leur candidat conservateur. On alluma les fanaux qu’on suspendit à l’avant des voitures et, peu à peu, le champ de Camirand se vida de ses visiteurs.
— C’est drôle pareil que pas un maudit Rouge se soit montré le bout du nez, déclara Xavier, un peu frustré, durant le trajet de retour.
— Ouais, fit son frère, un peu soucieux. Remarque que ça peut vouloir dire que les Rouges ont tellement confiance dans Tessier qu’ils trouvent que ça vaut pas la peine de s’occuper de Dorion.
— Qu’est-ce qu’on fait mercredi ? lui demanda son jeune frère.
— Je pense que ça vaudrait peut-être la peine d’aller écouter Tessier. Comme monsieur le curé le laissera pas parler sur le parvis de la chapelle, j’ai l’impression qu’Ellis va organiser ça chez eux.
— Quand les Rouges vont nous voir… commença Xavier.
— Ils pourront rien dire parce qu’on n’ira pas là pour faire du trouble, fit Donat.
Le lendemain matin, Eudore Valiquette arriva assez tôt à la chapelle pour aller dire quelques mots au curé Désilets, arborant encore son air renfrogné des mauvais jours.
— Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous, monsieur Valiquette ? demanda le prêtre assez abruptement.
— Peut-être, monsieur le curé, répondit l’homme de loi d’une voix neutre. J’arrêtais juste pour vous demander si vous aviez l’intention de remercier ce matin les gens de Saint-Bernard d’être venus vous déménager cette semaine.
— Est-ce que c’est bien nécessaire ? Je suis leur pasteur et il me semble normal que mes paroissiens voient à ce que je sois convenablement installé. En passant, il faudrait faire une réunion du conseil mercredi soir, poursuivit Josaphat Désilets.
— Impossible, monsieur le curé. Mercredi, il y a une réunion électorale des libéraux au village et il va vous manquer au moins la moitié du conseil.
— Mais c’est urgent !
— C’est à propos de quoi, monsieur le curé ?
— Des animaux dont j’aurai besoin.
— Je pense que ça peut bien attendre la prochaine réunion régulière qui est prévue mardi, dans deux semaines, trancha le président du conseil.
— Je peux convoquer moi-même les marguilliers, déclara sèchement le prêtre.
— Non, monsieur le curé. C’est au président du conseil de convoquer les réunions, même spéciales, rétorqua Valiquette sur le même ton.
Les yeux de Josaphat Désilets trahissaient sa colère, mais il dut s’avouer vaincu par le petit homme tiré à quatre épingles qui lui faisait face.
— En passant, monsieur le curé, ajouta le notaire, vous me permettrez de remercier les paroissiens de Saint-Bernard d’être venus aider cette semaine, si vous le faites pas.
— Mêlez-vous pas de ça. Je vais le faire.
— J’ai pensé aussi que ce serait pas une mauvaise idée d’envoyer un petit mot de remerciement aux curés des paroisses qui nous ont donné des meubles.
Le curé Désilets se tut un long moment avant de dire :
— Bon, vous allez m’excuser, notaire, je dois m’habiller pour la messe.
Quelques minutes plus tard, le notaire
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