Au Coeur Du Troisième Reich
quand tous les autres concurrents avaient renoncé, jusqu’au jour où Hans Lange, commissaire-priseur de Berlin, attira mon attention sur cette pratique singulière.
Peu après la nomination de Posse, Hitler lui présenta ses acquisitions, y compris les Grützner. Cela se passait dans son abri antiaérien où il avait mis ces trésors en sûreté. On apporta des sièges pour Posse, pour Hitler et pour moi, et les SS de service apportèrent les tableaux les uns après les autres. Hitler chantait les louanges de ses œuvres préférées, employant les épithètes habituelles, mais Posse ne se laissa impressionner ni par le rang de Hitler ni par son amabilité charmeuse. Objectif et intraitable, il rejeta beaucoup de ces acquisitions onéreuses par ces simples mots : « A peine acceptable », ou « Ne correspond pas au niveau que je veux donner à cette galerie. » Comme toujours lorsqu’il se trouvait en présence d’experts, Hitler accepta cejugement sans élever d’objections ; le fait est que Posse rejeta la plupart des tableaux de l’école de Munich tant appréciée de Hitler.
Vers la mi-novembre 1940, Molotov arriva à Berlin. A la grande joie de Hitler et de ses convives, le D r Karl Brandt, rapporta d’un ton moqueur que la suite du président du Conseil et ministre des Affaires étrangères soviétique faisait ébouillanter, avant de s’en servir, toutes les assiettes et tous les couverts, par crainte des microbes.
Dans le grand salon du Berghof se trouvait un grand globe terrestre sur lequel, quelques mois plus tard, je découvris la trace de ces pourparlers infructueux avec les Russes. D’un air entendu, un des aides de camp me montra un simple trait de crayon qui suivait l’Oural du nord au sud. Hitler l’avait tracé de sa main pour délimiter les futures zones d’influence de l’Allemagne et du Japon. Le 21 juin 1941, la veille de l’attaque contre l’Union soviétique, après un repas pris en commun, Hitler m’appela dans le salon de sa résidence berlinoise et me fit entendre quelques mesures des Préludes de Liszt. « Vous allez avoir l’occasion d’entendre souvent cette musique, car c’est la fanfare qui annoncera nos victoires en Russie. C’est Funk qui l’a choisie. Est-ce qu’elle vous plaît 5 ?… Nous trouverons là-bas du granit et du marbre autant que nous voudrons. »
Hitler donnait désormais libre cours à sa mégalomanie ; la guerre ou, comme il le disait lui-même, le sang allait porter à son accomplissement ce que depuis des années ses constructions laissaient présager. Aristote a écrit dans sa Politique : « La vérité est que les plus grandes injustices viennent de ceux qui cherchent la démesure et non pas de ceux qui sont poussés par la misère. »
Pour le cinquantième anniversaire de Ribbentrop en 1943, plusieurs de ses proches collaborateurs lui offrirent un magnifique coffret orné de pierres précieuses, qu’ils voulurent remplir des photocopies de tous les traités et accords conclus par le ministre des Affaires étrangères. « Lorsque nous avons voulu remplir le coffret, déclara au dîner l’ambassadeur Hewel, l’homme de liaison de Ribbentrop auprès de Hitler, nous avons été embarrassés. Il subsistait peu de traités que nous n’ayons pas violés entre-temps. »
Hitler en pleurait de rire.
L’idée de devoir réaliser coûte que coûte des projets de constructions d’une telle ampleur, à une période apparemment décisive de la guerre mondiale, continuait à me contrarier tout autant qu’au début de la guerre. Le 30 juillet 1941, donc au moment de notre avance fulgurante en Russie, je proposai au D r Todt 6 , « le commissaire général à la Construction », de suspendre tous les travaux qui n’étaient pas absolument importants ou décisifs pour la guerre. Étant donné le déroulement favorable des opérations, Todt crut pouvoir ajourner la décision à quelques semaines. En fait ce fut une affaire classée, car, une fois de plus, ma demande resta sans écho auprès de Hitler. Il refusa de limiter les programmes de constructions et d’affecter à l’armement les matériaux et la main-d’œuvre que nécessitaient ses constructions privées, et ses autres projets préférés, les autoroutes, les bâtiments du parti et les projets berlinois.
Vers la mi-septembre 1941, alors que l’avance en Russie accusait déjà un notable retard sur les pronostics prétentieux de Hitler, nos
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