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Au Coeur Du Troisième Reich

Au Coeur Du Troisième Reich

Titel: Au Coeur Du Troisième Reich Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Lemay , Albert Speer , Michel Brottier
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mis au travail éclipsa les problèmes qui auraient pu se présenter à mon esprit. La hâte quotidienne étouffait bien des embarras. En écrivant ces souvenirs, je fus d’abord frappé d’étonnement, puis de stupeur, en constatant que, jusqu’en 1944, je n’avais, à vrai dire, presque jamais trouvé le temps de réfléchir sur moi-même, sur ce que je faisais, je n’avais jamais réfléchi sur le sens de ma propre existence. Aujourd’hui, dans ce retour sur mon passé, j’ai parfois le sentiment qu’à cette époque-là quelque chose m’a soulevé de terre, coupé de toutes racines et soumis à d’innombrables forces étrangères.
    Ce qui m’effraie presque le plus, quand je regarde en arrière, c’est qu’à l’époque, ce qui m’inquiétait parfois, c’était surtout la voie que j’avais choisie comme architecte, et qui s’éloignait des leçons et des théories de Tessenow. En revanche j’ai dû avoir le sentiment que je n’étais pas personnellement concerné par la chasse aux Juifs, aux francs-maçons, aux sociaux-démocrates et aux témoins de Jéhovah, dont j’entendais parler dans mon entourage. Je pensais qu’il me suffisait de ne pas me mêler de cela.
    On avait inculqué aux petits militants que la grande politique était beaucoup trop compliquée pour qu’ils puissent en juger. En conséquence, on se sentait constamment pris en charge, jamais personne n’était invité à prendre ses propres responsabilités. Toute la structure du système tendait à empêcher quiconque de se poser des cas de conscience. Le résultat était que toutes les conversations et toutes les controverses que pouvaient avoir entre eux les tenants de notre cause étaient parfaitement stériles. Il n’y avait aucun intérêt à se confirmer réciproquement des opinions d’une totale uniformité.
    L’exigence, expressément formulée, de ne prendre de responsabilités que dans les limites de son propre domaine, était encore plus inquiétante. On ne pouvait plus se mouvoir que dans son groupe, que ce fût celui des architectes, ou celui des médecins, des juristes, des techniciens, des soldats ou des paysans. On appelait ces organisations professionnelles, auxquelles chacun appartenait d’office, des Chambres (Chambre des médecins, Chambre des artistes), et cette dénomination correspondait exactement à cette compartimentation de la vie en différentes sphères, séparées les unes des autres comme par des murs. Plus le système hitlérien durait et plus la pensée se cloisonnait. Si cela avait continué pendant plusieurs générations, je crois que cela aurait suffi à amener un dépérissement du système, car nous serions peu à peu arrivés à une sorte de « société de castes ». Ce qui me stupéfiait le plus, c’était la contradiction flagrante entre cette réalité et la « communauté du peuple allemand » proclamée en 1933 ; car si l’on souhaitait l’intégration de tous dans la communauté, le système s’opposait à la réalisation de ce vœu, ou du moins l’entravait. En fin de compte, cette communauté ne se composait que d’individus isolés. Et pourtant la formule selon laquelle au-dessus de tous « le Führer pense et dirige » n’était pas pour nous un simple slogan.
    Nous n’étions nullement prémunis contre la contagion de telles idées. Dans notre jeunesse on nous avait inculqué le respect des principes d’autorité dont la guerre et ses lois avaient encore renforcé le caractère contraignant. Peut-être avions-nous été, comme des soldats, préparés à la façon de penser que nous retrouvions dans le système hitlérien. Nous avions la discipline dans le sang ; par opposition, le libéralisme de la république de Weimar nous semblait laxiste, discutable et nullement enviable.
     
    Pour pouvoir me rendre à toute heure chez mon maître d’ouvrage, j’avais loué dans la Behrenstrasse, à quelques centaines de mètres de la Chancellerie, un atelier de peintre dont j’avais fait mon bureau. Mes collaborateurs, tous des hommes jeunes, travaillaient du matin jusqu’au soir sans tenir aucun compte de leur vieprivée. On déjeunait habituellement de quelques sandwiches, et vers dix heures du soir, après un dur labeur, nous allions terminer notre journée dans un café tout proche, la « Pfälzer Weinstube » où, tout en discutant une dernière fois de nos travaux, nous prenions une légère collation.
    Toutefois les grosses commandes se faisaient

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