Au Coeur Du Troisième Reich
m’étais attendu à voir régner pendant ces conférences d’état-major un silence respectueux, je fus donc fort surpris de constater que lorsque les officiers ne participaient pas directement au rapport, ils conversaient entre eux discrètement, mais sans se gêner. Souvent, durant la conférence, on allait s’installer sur les sièges dans le fond de la pièce, sans se préoccuper davantage de la présence de Hitler. Toutes ces conversations à l’arrière-plan faisaient régner un bourdonnement incessant, qui me portait sur les nerfs. Cela ne dérangeait Hitler que lorsque ces conversations en aparté devenaient trop animées et trop bruyantes. Il lui suffisait alors de lever la tête pour marquer son agacement, et le bruit diminuait aussitôt.
A partir de l’automne 1942 il fallait faire preuve de circonspection pour contredire Hitler ouvertement sur des questions importantes au cours des conférences militaires. S’il tolérait les objections de la part des non-habitués, il ne les admettait pas lorsqu’elles émanaient de son entourage quotidien. Lui-même, lorsqu’il cherchait à convaincre, affectionnait les longs préambules et il s’efforçait de rester le plus longtemps possible dans les généralités. C’est à peine s’il laissait parler ses interlocuteurs ; si au cours de la discussion un point litigieux se présentait, Hitler éludait adroitement la difficulté et remettait la solution à une conférence ultérieure. Il partait de l’hypothèse que les chefs militaires répugnent à s’incliner en présence de leurs officiers d’état-major. Il se peut aussi qu’il ait préféré les entretiens privés, qui lui permettaient de mettre en œuvre plus efficacement la fascination qu’il exerçait et son pouvoir de persuasion. Ces deux moyens perdaient de leur efficacité au téléphone. C’est sans doute pour cela que Hitler a toujours visiblement répugné à mener des discussions importantes au téléphone.
En plus de la « grande conférence », avait lieu, tard dans la soirée, une conférence restreinte, au cours de laquelle un jeune officier de l’état-major général faisait un rapport sur les événements des dernières heures. Hitler était alors seul avec cet officier. Lorsque j’avais passé la soirée avec lui, Hitler me priait parfois de rester. Il se montrait alors incontestablement plus naturel que pendant la grande conférence et l’atmosphère était nettement plus détendue.
Si Hitler acquit en fin de compte la conviction toujours plus forte qu’il était doué de facultés surhumaines, son entourage y était pour quelque chose. Le maréchal Blomberg, qui fut le premier et le dernier ministre de la Guerre du Reich, se plaisait déjà à exalter le génie stratégique supérieur de Hitler. Lorsqu’on songe à tous ces hymnes de louanges qui montaient indéfectiblement vers lui, à tous les bruyants témoignages d’approbation qu’il recevait constamment, on peut penser que même une personnalité possédant une plus grande pondération et une plus grande modestie que Hitler aurait eu de la peine à conserver sa lucidité.
Hitler acceptait de bon gré les conseils émanant de personnes qui jugeaient la situation avec encore plus d’optimisme que lui, et qui s’illusionnaient encore plus que lui ; cela était conforme à sa nature. C’est ce qui se produisait souvent avec Keitel. Souvent Hitler prenait des décisions qui ne rencontraient pas l’approbation de la majorité des officiers ; elles étaient alors accueillies par un silence éloquent ; Keitel s’empressait alors de soutenir Hitler en y mettant toute sa conviction. Vivant sans cesse dans l’intimité de Hitler, il était totalement soumis à son influence. Ce général respectable, ce bourgeois honnête et sérieux, était devenu au fil des ans un laquais obséquieux, hypocrite et compassé. Au fond Keitel souffrait de sa veulerie. Toute discussion avec Hitler étant vouée à l’échec, il en était finalement arrivé au point de renoncer à défendre toute opinion personnelle. Aurait-il voulu maintenir ses idées à tout prix, qu’il aurait tout simplement été remplacé par un autre Keitel.
Lorsque, dans les années 1943-1944, Schmundt, qui était le premier aide de camp de Hitler et le chef du personnel de l’armée de terre, joignit ses efforts à ceux de beaucoup d’autres pour faire remplacer Keitel par l’énergique maréchal Kesselring, Hitler déclara qu’il ne
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