Au Coeur Du Troisième Reich
pouvait se séparer de Keitel, qui lui était « fidèle comme un chien ». Keitel était peut-être celui qui incarnait le mieux le type d’homme dont Hitler avait besoin dans son entourage.
Le général Jodl ne contredisait pas souvent Hitler ouvertement, lui non plus. Sa technique était plus habile ; généralement il ne révélait pas ce qu’il pensait, il se tirait ainsi de situations délicates, pour amener plus tard Hitler à réviser sa position ou même à annuler des décisions déjà prises. A l’occasion, il exprimait sur Hitler des jugements défavorables, ce qui montre qu’il avait conservé un jugement relativement objectif. Les subordonnés de Keitel, comme par exemple son adjoint, le général Warlimont, ne pouvaient pas montrer plus d’audace que lui et pourtant, quand ils étaient pris à partie par Hitler, Keitel ne prenait pas leur défense. Parfois ils tentaientd’annuler des ordres manifestement absurdes en les assortissant de correctifs discrets que Hitler ne comprenait pas. Sous la direction de Keitel, l’instrument docile du Führer, les officiers de l’O.K.W. étaient obligés d’avoir recours à tous les moyens détournés possibles pour parvenir à leurs fins.
Cette soumission des généraux s’explique peut-être aussi par le surmenage continuel auquel ils étaient soumis. Les heures de travail de Hitler coïncidaient avec l’emploi du temps normal de l’O.K.W., de sorte que les généraux pouvaient rarement dormir normalement. Le surmenage purement corporel joue sûrement un rôle plus important qu’on ne l’admet communément, surtout quand il faut donner le meilleur de soi-même pendant longtemps. Même en privé, Keitel et Jodl paraissaient fatigués, vidés. Pour faire éclater et revivifier ce petit monde d’hommes usés, je voulus introduire au quartier général du Führer non seulement Fromm, mais aussi mon ami le maréchal Milch. J’avais amené ce dernier à plusieurs reprises au quartier général, prétextant qu’il avait à exposer certaines questions intéressant la planification. Ses quelques visites se passèrent bien et Milch était en passe de gagner Hitler à son projet consistant à lancer un programme de chasseurs, à la place de la grande escadrille de bombardiers qui avait été prévue. C’est alors que Göring lui interdit de remettre les pieds au quartier général.
Quant à Göring, il me fit l’impression d’être un homme fini, lorsque j’eus l’occasion de passer quelques heures avec lui à la fin de 1942, dans le pavillon qui avait été construit à son intention pour les brefs séjours qu’il effectuait au quartier général. Göring n’était pas installé à la Spartiate comme Hitler dans son bunker de travail, il avait encore des fauteuils confortables. Abattu, il me déclara cette fois-là : « Nous n’aurons pas à nous plaindre si après cette guerre l’Allemagne conserve ses frontières de 1933. » Il essaya bien d’atténuer la portée de cette réflexion en recourant aux formules rebattues pour réaffirmer sa confiance, mais j’eus l’impression que, malgré la désinvolture avec laquelle il ne cessait de claironner les refrains que Hitler aimait entendre, il voyait la défaite approcher.
Lorsqu’il arrivait au quartier général du Führer, Göring avait coutume de se retirer d’abord quelques minutes dans son pavillon ; Bodenschatz, l’officier de liaison de Göring auprès de Hitler, quittait alors la salle de conférences pour téléphoner à Göring, du moins nous le supposions, et le mettre au fait des questions en litige. Un quart d’heure après, Göring arrivait à la conférence. Sans qu’on lui ait demandé son avis, il se mettait alors à défendre avec emphase le point de vue que Hitler voulait, l’instant d’avant, faire prévaloir contre ses généraux. Hitler toisait l’assistance : « Vous voyez, le Reichsmarschall est exactement du même avis que moi ! »
Le 7 novembre 1942, dans l’après-midi, je partis avec Hitler qui se rendait à Munich avec son train spécial. Durant ces voyages, Hitler était délivré de la routine du quartier général et il était plus facile d’avoir avec lui de longues discussions sur des problèmes généraux concernant l’armement. Ce train spécial était équipé de la radio, d’un téléscripteur et d’un central téléphonique ; Jodl et quelques personnes de l’état-major général accompagnaient Hitler.
L’atmosphère, ce
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