Au Coeur Du Troisième Reich
qu’en construisant nous-mêmes une puissante flotte de bombardiers. Lorsque je lui objectais que, pour mener une guerre aérienne sur une grande échelle, nous n’avions ni suffisamment d’avions, ni les quantités d’explosifs nécessaires 5 , il me faisait toujours la même réponse : « Vous avez déjà réussi à faire tant de choses, Speer, là encore vous y arriverez bien. » Après tout il me semble, avec le recul, que l’accroissement incessant de la production, réalisé en dépit des raids aériens, a été l’une des raisons pour lesquelles Hitler n’a pas pris vraiment au sérieux la guerre aérienne qui se déroulait dans le ciel de l’Allemagne. C’est pourquoi la thèse que nous défendions, Milch et moi, selon laquelle il fallait stopper radicalement la fabrication des bombardiers, pour produire plus d’avions de chasse, se heurta à l’opposition de Hitler jusqu’au jour où il fut trop tard.
J’ai tenté plusieurs fois d’amener Hitler à aller visiter les villes bombardées, pour que la population le voie 6 . Goebbels lui aussi déplora plus d’une fois devant moi d’avoir vainement employé l’influence qu’il avait sur Hitler pour œuvrer dans le même sens. Il évoquait avec envie la conduite de Churchill : « Si le Führer visitait les villes comme lui, quelle belle propagande je ferais ! » Mais Hitler se dérobait régulièrement quand nous lui demandions cela. Maintenant, quand à Berlin il se rendait de la gare de Stettin à la Chancellerie du Reich, ou quand il empruntait à Munich la Prinzregentenstrasse pour se rendre chez lui, il exigeait qu’on prenne le chemin le plus court, alors qu’autrefois il avait aimé faire des détours. Moi qui l’ai accompagné plusieurs fois dans ces occasions-là, je le voyais, quand par hasard la voiture venait à passer le long d’un gigantesque champ de ruines, jeter sur ce spectacle un regard absent et indifférent.
Hitler se conformait fort peu aux recommandations de Morell qui le pressait de faire de longues promenades. Il aurait pourtant été facile d’aménager des chemins dans les forêts environnantes de Prusse-Orientale. Mais Hitler repoussait obstinément des propositions dans ce sens, et tout l’exercice qu’il se donnait consistait à faire quotidiennement une petite ronde d’une centaine de mètres à l’intérieur de la zone de sécurité n° 1.
Au cours de ses promenades, Hitler s’intéressait généralement moins à celui qui l’accompagnait qu’à Blondi, son berger allemand, qu’il essayait de dresser. Après l’avoir exercé quelque temps à rapporter, Hitler faisait marcher son chien en équilibre sur une planche mesurant environ vingt centimètres de large et huit mètres de long, installée à deux mètres du sol. Il savait évidemment qu’un chien considère comme son maître la personne qui lui donne à manger. Aussi, avant de donner au domestique l’ordre d’ouvrir la porte du chenil, attendait-il quelques instants, pendant que le chien, affamé et excité, aboyait de contentement et sautait le long du grillage. Par un privilège insigne, j’avais parfois le droit d’accompagner Hitler au repas de son chien, pendant que tous les autres devaient se contenter d’assister de loin à cet événement. Le berger allemand était selon toute apparence ce qui comptait le plus dans la vie privée de Hitler ; il comptait même davantage que ses collaborateurs les plus proches.
Il arrivait fréquemment à Hitler, quand il n’avait pas d’hôte selon son cœur au quartier général, de prendre ses repas en solitaire, avec son chien pour unique compagnon. Bien sûr, au cours de mes séjours au quartier général, qui duraient généralement deux ou trois jours, il m’invitait régulièrement une ou deux fois à partager son repas. Beaucoup pensaient sans doute au quartier général que nous discutions soit d’importants sujets généraux, soit de sujets touchant notre vie privée. Mais il m’était impossible à moi aussi de débattre avec Hitler de thèmes de portée générale relatifs à la situation militaire ou même à la situation de l’économie ; la conversation ne dépassait pas le niveau des banalités ou l’aridité des indices de production.
Les premiers temps il manifestait encore de l’intérêt pour des questions dont nous nous étions occupés ensemble, comme par exemple l’aménagement de certaines villes allemandes. Il revenait encore fréquemment sur
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