Au Coeur Du Troisième Reich
chien ne parlait pas.
L’isolement dans lequel Hitler était cloîtré ne fit que s’accentuer et cette évolution se poursuivit progressivement et à vrai dire presque insensiblement. Ce sentiment de solitude le rongeait, comme le montre clairement cette réflexion qu’à partir de l’automne 1943 il répétait fréquemment : « Un jour, Speer, il ne me restera plus que deux amis : M lle Braun et mon chien. » Il disait cela sur un ton si méprisant et si direct, qu’il ne m’était pas possible de protester de ma fidélité ou de me montrer offensé. C’est bien la seule prévision de Hitler, pour parler un peu à la légère, qui se soit révélée exacte. Mais ce n’était pas lui qui pût en tirer vanité : il le dut bien plutôt au courage de sa maîtresse et à la fidélité de son chien.
Je n’ai compris que plus tard, durant mes longues années de prison, ce que signifie d’être soumis à une tension psychique écrasante. Je me suis alors avisé que la vie de Hitler avait eu beaucoup d’analogies avec celle d’un prisonnier. Son bunker n’avait pas encore à cette époque les dimensions énormes, dignes d’un mausolée, qu’il devait acquérir en juillet 1944, mais il avait bel et bien des murs et des plafonds aussi épais que ceux d’une prison et les rares ouvertures étaient fermées par des portes et des volets métalliques ; quant aux promenades hâtives à l’intérieur de l’enceinte de fils de fer barbelés, elles ne lui permettaient pas de jouir du bon air et de la nature plus qu’aux détenus la ronde dans la cour de la prison.
Le grand moment de la journée de Hitler était la grande conférence d’état-major qui commençait après le déjeuner, vers quatorze heures. Extérieurement le tableau n’avait guère changé depuis le printemps 1942. C’étaient presque les mêmes généraux et les mêmes aides de camp qui s’attroupaient autour de la table des cartes à laquelle siégeait Hitler. Mais, après les événements des derniers dix-huit mois, tous les participants semblaient avoir vieilli et paraissaient usés. Ils accueillaient les consignes et les ordres d’un air indifférent et quasi résigné.
La discussion portait sur tout ce qui donnait matière à espérer. Les interrogatoires des prisonniers et les rapports arrivés du front russe permettaient d’envisager l’épuisement de l’adversaire. Les pertes que les Russes essuyaient au cours des offensives semblaient être beaucoup plus élevées que les nôtres, même compte tenu de la disparité des chiffres de la population des deux pays. Nos succès les plus dérisoires prenaient dans la conversation des proportions de plus en plus importantes et Hitler finissait par y voir la preuve irréfutable quenous pouvions résister à l’offensive des Russes jusqu’à son échec total. Beaucoup d’entre nous croyaient également que Hitler, le cas échéant, mettrait fin à la guerre en temps voulu.
Pour ouvrir les yeux de Hitler sur l’évolution probable de la situation au cours des prochains mois, Jodl prépara un exposé. Il voulait ainsi du même coup s’efforcer de reprendre en main son rôle de chef de l’état-major chargé des opérations que Hitler avait accaparé de plus en plus. Jodl connaissait la défiance de Hitler pour les exposés bâtis sur des chiffres. A la fin de 1943, Hitler avait encore exprimé tout son mépris à propos d’un travail du général Georg Thomas, chef du bureau chargé de l’armement et des questions économiques à l’O.K.W., qui avait présenté le potentiel de guerre soviétique comme extraordinairement important. Ce mémoire continuait à exaspérer Hitler, bien qu’il eût, après en avoir pris connaissance, interdit à Thomas et à l’O.K.W. de procéder à d’autres études de ce genre. Lorsque, vers l’automne 1944, mon service de planification, animé des meilleures intentions et désireux d’apporter son concours à l’état-major en vue de décisions à prendre, rédigea un nouveau mémoire sur le potentiel d’armements de l’ennemi, Keitel nous défendit à nous aussi de transmettre ce genre de documentation à l’O.K.W.
Jodl n’ignorait pas qu’il aurait des difficultés à surmonter pour arriver à ses fins. Il choisit donc, pour l’aider dans cette entreprise, un jeune colonel de la Luftwaffe, Christian, dont le rôle devait consister, dans un premier temps, à venir développer à une conférence d’état-major des
Weitere Kostenlose Bücher