Au Coeur Du Troisième Reich
siècle dans un style rococo nouveau riche. C’est là que nous discutions des transformations à apporter à sa résidence. Nous avions souvent avec nous M. Paepke, l’un des directeurs des Ateliers réunis, un homme d’un certain âge, aux cheveux gris, plein des meilleures intentions, dont celle de plaire à Göring, mais intimidé par la manière brusque dont ce dernier traitait ses subordonnés.
Nous étions un jour assis avec Göring dans une pièce dont les murs étaient recouverts, de haut en bas, comme le voulait le style néo-rococo wilhelminien, de roses en bas-relief – pour moi la laideur même. C’était aussi l’avis de Göring qui demanda à Paepke : « Comment trouvez-vous cette décoration, monsieur le directeur ? Pas mal, n’est-ce pas ? » Au lieu de répondre qu’il la trouvait horrible, le directeur se troubla, ne voulut pas se mettre mal avec un client et commanditaire si haut placé, et fit une réponse évasive. Göring, flairant la possibilité d’une plaisanterie, m’adressa un clin d’œil pour me faire entrer dans le jeu et continua : « Comment, monsieur le directeur, vous ne trouvez pas ça beau ? J’ai l’intention de vous faire décorer toutes mes pièces de cette manière. Nous en avons déjà parlé, n’est-ce pas, monsieur Speer ? – Mais oui, dis-je, j’ai déjà fait commencer les cartons. – Alors, monsieur le directeur, reprit Göring, vous voyez, c’est notre nouveau style. Je suis sûr qu’il vous plaît. » Le directeur se détourna, sa conscience d’artiste lui faisait perler la sueur au front. Sa barbiche était agitée de tremblements. Göring s’était mis dans la tête de forcer le vieil homme à avouer qu’il aimait ça : « Mais, continua-t-il, regardez donc ce mur de plus près, voyez comme les roses montent en magnifiques entrelacs. On se croirait dans une tonnelle. Et vous n’êtes pas enthousiasmé ? – Mais si, mais si, balbutiait désespérément le malheureux. – Un amateur d’art tel que vous devrait être transporté par un tel chef-d’œuvre, pousuivit Göring. Dites-moi, vous ne trouvez pas ça beau ? » Le jeu continua ainsi, jusqu’à ce que le directeur eût cédé et simulé l’enthousiasme qu’on exigeait de lui.
« Ils sont tous les mêmes », constata Göring d’un ton méprisant après le départ du directeur, et en effet ils étaient bien tous les mêmes, Göring le premier, qui n’arrêtait pas, pendant les repas pris chez Hitler, de raconter comme son appartement allait maintenant être clair et vaste « tout comme le vôtre, mon Führer ».
Hitler aurait-il fait grimper des roses sur les murs de ses pièces, que Göring aurait tout aussitôt exigé des roses.
A l’hiver 1933, c’est-à-dire quelques mois seulement après mon premier déjeuner chez Hitler, je faisais partie du cercle des intimes qui l’entouraient. Peu nombreux furent ceux qui, comme moi, connurent une telle faveur. Sans aucun doute, Hitler prenait un plaisir particulier à ma compagnie, bien que j’aie été d’une nature réservée et peu loquace. Je me suis souvent demandé s’il projetait sur moi ce rêve de jeunesse jamais réalisé : devenir un jour un grand architecte. De toute façon, il était difficile, vu le comportement souvent intuitif de Hitler, de trouver une explication pleinement satisfaisante à la sympathie qu’il me témoignait.
J’étais encore loin de cette ligne néo-classique qui devait être la mienne plus tard. Le hasard a voulu que soit conservé un projet que j’avais réalisé en vue d’un concours ouvert, à l’automne 1933, à tous les architectes allemands. Il s’agissait de dessiner les plans de l’école des cadres supérieurs du parti de Munich-Grunwald. Mon projet était déjà axé sur une certaine volonté de représentation, mais témoignait encore de cette discrétion de moyens que m’avait enseignée Tessenow.
Avant que la décision soit prise, Hitler examina les projets en compagnie de Troost et de moi-même. Les envois, comme c’est la règle pour les concours, étaient anonymes. Bien entendu, je fus éliminé. C’est après le verdict seulement que Troost, au cours d’une discussion dans son atelier, prit, l’anonymat ayant été levé, mon projet pour le montrer à Hitler. A ma grande surprise, celui-ci s’en souvenait de façon très précise alors qu’il ne l’avait vu que quelques secondes et parmi des centaines d’autres. Ignorant les louanges
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