Au Coeur Du Troisième Reich
Je ne l’étais point, mais Hitler acquiesça. « Permettez-vous alors, continua Göring, qu’il transforme également ma maison ? » Hitler y consentit et, sans me demander mon avis, Göring m’embarqua après le repas dans sa grosse voiture découverte et me traîna comme une proie précieuse jusque chez lui. Il avait porté son choix sur l’ancienne résidence de fonction du ministre du Commerce prussien, construite à grands frais par l’État prussien avant 1914, dans l’un des jardins qui se trouvent derrière la Leipziger Platz.
Quelques mois auparavant, on avait transformé, toujours à grands frais et sur les fonds de l’État prussien, cette demeure selon les indications expresses de Göring lui-même. Hitler l’avait visitée et avait laissé tomber d’un ton désapprobateur : « Obscur ! Comment peut-on vivre dans une telle obscurité ! Comparez à ça le travail de mon professeur. Tout y est lumineux, clair et simple. » En effet, je trouvai un fouillis de recoins romantiques, de petites pièces avec des fenêtres aux vitres sombres, de lourdes tentures de velours et un mobilier Renaissance extrêmement massif. Une espèce de chapelle semblait vouée au culte de la croix gammée, mais on découvrait ce signe aussi dans les autres pièces, où le nouveau symbole figurait partout, sur les murs, sur les planchers, sur les plafonds. On aurait dit qu’à tout instant allaient se dérouler ici des événements solennels et tragiques.
Caractéristique du système comme de tous les régimes totalitaires, fut le changement instantané qu’avaient amené chez Göring la critique de Hitler et l’exemple qu’il donnait. L’appartement venait en effet à peine d’être installé, que Göring décida sans hésiter de le faire transformer, bien qu’il s’y fût certainement senti bien plus à l’aise, car il correspondait mieux à son caractère. « Ne regardez pas ça, me dit-il, moi-même je ne peux plus le voir. Faites ce que vous voulez. Je vous charge de ce travail. Il faut seulement que ce soit comme chez le Führer. » C’était une belle commande. Le coût de l’opération, comme toujours avec Göring, n’avait aucune importance. Aussi abattit-on des cloisons pour réunir les nombreuses pièces du rez-de-chaussée en quatre vastes pièces dont la plus grande, qui devait être le cabinet de travail, mesurait presque cent quarante mètres carrés et approchait ainsi celui de Hitler. On y adjoignit une verrière dont les cadres étaient en bronze. Certes, des restrictions avaient été apportées au commerce du bronze et toute utilisation abusive de ce métal était punie de lourdes peines, mais cette menace n’inquiétait nullement Göring. Il était enthousiasmé, se réjouissait à chacune de ses visites, rayonnant comme un enfant le jour de son anniversaire, riant et se frottant les mains.
Le mobilier de Göring était à la mesure de sa corpulence. Le bureau était une vieille table Renaissance, de dimensions impressionnantes, et le fauteuil, dont le dossier arrivait bien plus haut que sa tête, avait été vraisemblablement le trône de quelque prince. Sur la table, il avait posé deux chandeliers d’argent avec des abat-jour géants et une énorme photographie de Hitler : l’original dont lui avait fait cadeau Hitler ne lui ayant pas paru assez imposant, il l’avait fait agrandir plusieurs fois. Ses visiteurs étaient étonnés de l’honneur particulier qui lui avait été fait, car tout le monde, dans le parti et dans les cercles gouvernementaux, savait que Hitler avait fait cadeau à chacun de ses paladins d’une photo de dimensions égales pour tous, dans un cadre d’argent conçu à cet effet par M me Troost.
Dans le vestibule était suspendu un tableau de dimensions inhabituelles qu’on pouvait monter jusqu’au plafond pour libérer des ouvertures par lesquelles on avait accès à une salle de projection située derrière la paroi. Ce tableau ne m’était pas inconnu. Cela n’avait rien d’étonnant puisque, comme je l’appris bientôt, Göring, avec son sans-gêne habituel, avait ordonné à « son » directeur du musée de l’Empereur-Frédéric de faire apporter dans son appartement le célèbre tableau de Rubens, Diane à la chasse au cerf , jusque-là un des chefs-d’œuvre les plus remarquables de ce musée.
Pendant les travaux, Göring élut domicile dans le palais du président du Reichstag, qui avait été bâti au début du XX e
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