Au Coeur Du Troisième Reich
au patron en claquant des doigts pour l’appeler, mais ma ligne ! Vous oubliez que le Führer ne peut pas manger tout ce qui lui fait envie. » Là-dessus, il étudiait longuement la carte et commandait des ravioli.
Chacun commandait ce dont il avait envie : des escalopes, du goulasch, du vin de Hongrie en pichets ; malgré les plaisanteries que Hitler faisait à l’occasion sur les « charognards » et les « ivrognes », tout le monde pouvait avoir ce qu’il désirait. Ici, on était entre soi.
Nous respections tous un accord tacite selon lequel il était interdit de parler politique. La seule à ne pas s’y tenir était Lady Mitford qui, même plus tard, quand les relations entre les deux pays devinrent difficiles, plaidait avec obstination la cause de sa patrie et suppliait Hitler de s’entendre avec l’Angleterre. Elle ne se laissa jamais rebuter par l’attitude réservée de Hitler, jusqu’à ce jour de septembre 1939 où, apprenant que l’Angleterre venait de déclarer la guerre à l’Allemagne, elle essaya de mettre fin à ses jours au Jardin anglais, mais avec un pistolet trop petit. Hitler la confia aux meilleurs spécialistes de Munich et la fit par la suite transporter en voiture spéciale jusqu’en Angleterre en passant par la Suisse.
Pendant ces repas, on ne parlait presque jamais d’autre chose que de l’entrevue que nous avions eue le matin avec le professeur Troost. Hitler portait toujours aux nues ce qu’il avait vu ; il gardait sans peine tous les détails en mémoire. Ses rapports avec Troost étaient ceux du disciple et du maître ; ils me rappelaient l’admiration sans réserve que j’avais portée à Tessenow.
Ce trait de caractère me plaisait infiniment ; j’étais étonné que cet homme adulé par son entourage fût encore capable d’une espèce de vénération. Hitler, qui se sentait lui-même architecte, respectait dans ce domaine la supériorité de l’homme de l’art ; en politique, il ne l’aurait jamais fait.
Il racontait comment la famille Bruckmann, une famille d’éditeurs de Munich hautement cultivée, lui avait fait faire la connaissance de Troost. C’était, disait-il, comme si ses yeux s’étaient brusquement dessillés, lorsqu’il avait vu ses travaux. « Je ne pus supporter plus longtemps, ajoutait-il, les dessins que j’avais faits jusqu’alors. Quelle chance d’avoir rencontré un tel homme ! » C’en était réellement une ; je n’ose songer à ce qu’aurait été son goût en matière d’architecture sans l’influence de Troost. Un jour il me montra le cahier où il conservait des esquisses du début des années 20. Les tentatives pour trouver un style somptuaire ne faisaient qu’imiter le néo-baroque des années 90 tel que l’illustre le Ring à Vienne. Un fait étrange m’avait frappé : ces dessins se trouvaient souvent mêlés à des esquisses d’armes ou de bateaux de guerre.
En comparaison, l’architecture de Troost arrivait presque à paraître pauvre. Aussi l’influence qu’elle exerça sur Hitler ne dura-t-elle pas. Jusqu’à la fin, Hitler fit l’éloge des architectes et des édifices qui lui avaient servi de modèles pour ses premières esquisses. Il admirait ainsi l’Opéra de Paris (1861-1874) de Charles Garnier : « Il possède le plus bel escalier du monde ! affirmait-il. Quand les dames, dans leurs toilettes précieuses, descendentdevant les uniformes faisant la haie… Monsieur Speer, nous aussi, nous devons construire quelque chose comme ça ! » De l’Opéra de Vienne, il affirmait dans son enthousiasme : « C’est le plus magnifique Opéra du monde, l’acoustique est formidable ! Je me souviens encore quand, jeune homme, au poulailler… » Sur l’un des deux architectes de cet édifice, Van der Nüll, Hitler racontait l’histoire suivante : « Il croyait avoir raté l’Opéra. Et voyez-vous, il était si désespéré qu’un jour avant l’ouverture, il se tira une balle dans la tête. L’inauguration venue, ce fut son plus grand succès, le monde entier couvrit l’architecte d’éloges. » Il n’était pas rare qu’il passât alors à des considérations sur les situations difficiles que lui aussi avait connues et dont il s’était toujours sorti. Il ne faut jamais renoncer, concluait-il.
Ses préférences allaient surtout à Hermann Helmer (1849-1919) et Ferdinand Fellner (1847-1916) qui, à la fin du XIX e siècle, couvrirent non seulement
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