Au Coeur Du Troisième Reich
qui fournissait à Hitler ses autos. Manifestement, les ministres y venaient plus rarement ; j’y vis très peu Himmler, Röhm ou Streicher, mais très fréquemment Goebbels et Göring. Les fonctionnaires de l’entourage du chancelier étaient en revanche totalement exclus de ces repas. C’est ainsi que même Lammers, le maître de maison, n’y fut jamais invité. Il y avait d’ailleurs certainement de bonnes raisons à cette absence.
Hitler, en effet, avait l’habitude d’y commenter les affaires du jour. Très détendu, il achevait tout bonnement son pensum quotidien. Il aimait à raconter comment il avait su échapper à la bureaucratie et aux menaces d’étouffement qu’elle faisait peser sur ses activités de chancelier. « Les premières semaines, disait-il, on soumettait à ma décision les moindres petits détails. Tous les matins, je trouvais sur ma table des monceaux de dossiers et je pouvais faire ce que je voulais, ils ne diminuaient jamais. Un jour, j’ai tout envoyé promener ! Si j’avais continué à travailler de cette manière, je n’aurais jamais abouti à des résultats positifs, parce que cela ne me laissait tout simplement jamais le temps de réfléchir. Quand j’ai refusé de voir les dossiers, on m’a dit que cela retardait des décisions importantes. Mais c’est seulement après avoir opposé ce refus que je pus réfléchir aux décisions vraiment importantes. Ainsi, c’est moi qui détermine désormais le cours des affaires et non pas les fonctionnaires qui me déterminent. »
Parfois il nous parlait de ses voyages : « On ne peut, disait-il, imaginer meilleur chauffeur que Schreck et notre voiture à compresseur faisait le 170. Nous roulions toujours très vite. Mais ces dernières années, j’ai ordonné à Schreck de ne plus dépasser le 80. Vous vous rendez compte s’il m’arrivait quelque chose ! Notre grand plaisir, c’était la chasse aux grosses américaines. Nous les suivions jusqu’à ce que, piquées au vif, elles essaient de nous lâcher, mais ces américaines, c’est de la cochonnerie, comparées à une Mercedes. Leur moteur ne tenait pas le coup et lâchait au bout d’un moment, ils devaient s’arrêter au bord de la route et faisaient un visage long comme ça. Bien fait pour eux ! »
Tous les soirs, on organisait, à l’aide d’un appareil assez primitif, une projection où on passait, après les actualités, un ou deux films. Les premiers temps, les domestiques ne savaient manier que très imparfaitement tous ces appareils et il n’était pas rare que l’image soit à l’envers ou que la pellicule casse. A cette époque-là, Hitler prenait cela avec plus de philosophie que ses aides de camp qui n’étaient que trop contents de faire sentir à leurs subordonnés le pouvoir qu’ils détenaient de leur maître.
Hitler choisissait les films avec Goebbels. Le plus souvent, il s’agissait de films qui passaient dans les cinémas de Berlin. Hitler préférait les divertissements sans prétention et les films d’amour. Il voulait voir le plus tôt possible tous les films où jouaient Jannings, Rühmann, Henny Porten, Lil Dagover, Olga Tschechowa, Zarah Leander ou Jenny Jugo. Les revues où on voyait beaucoup de jambes nues étaient assurées d’avoir du succès auprès de lui. Il nous arrivait aussi de voir des productions étrangères, même de celles qui étaient interdites au public allemand. En revanche, il n’y avait presque jamais de films sur le sport ou l’alpinisme, sur les animaux ou les paysages, ni de films d’information sur les pays étrangers. Il n’avait non plus aucun goût pour les films comiques que j’aimais tant alors, ceux par exemple avec Buster Keaton ou même Charlie Chaplin. La production allemande ne suffisait pas, loin de là, à fournir les deux films quotidiens. Aussi, nombreux furent ceux qu’on projeta deux fois et même plus. Il était frappant de constater qu’on ne repassait jamais ceux qui avaient une intrigue tragique, mais qu’on repassait souvent les films à grand spectacle ou ceux dans lesquels jouaient ses acteurs préférés. Cette habitude de se faire projeter tous les soirs un ou deux films, Hitler la conserva jusqu’au début de la guerre et ses goûts ne changèrent point.
Au cours de l’un de ces déjeuners, durant l’hiver 1933, j’étais assis près de Göring qui demanda à Hitler : « Est-ce Speer qui fait votre appartement, mon Führer ? Est-il votre architecte ? »
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