Au Coeur Du Troisième Reich
l’Autriche-Hongrie, mais également l’Allemagne de théâtres, tous construits sur le même schéma néo-baroque. Il savait exactement dans quelle ville il y en avait et fit plus tard reconstruire le théâtre d’Augsbourg, qui était à l’abandon.
Mais, parmi les architectes du XIX e siècle, il appréciait également des maîtres plus austères, tels que Gottfried Semper (1803-1879) qui avait construit à Dresde l’Opéra et le Musée, et à Vienne la Hofburg et les Hofmuseen, ou encore Theophil Hansen (1803-1883), à qui l’on devait à Vienne et à Athènes quelques édifices néo-classiques importants. A peine les troupes allemandes avaient-elles, en 1940, occupé Bruxelles, que je dus m’y rendre pour voir de près l’énorme Palais de Justice de Poelaert (1817-1879), qu’il admirait beaucoup, bien que ne l’ayant jamais vu, tout comme l’Opéra de Paris, que sur plans ; à mon retour, je dus lui faire un compte rendu détaillé. C’était là le monde architectural dans lequel vivait Hitler. En fin de compte, il revenait toujours au néo-baroque et à son emphase, semblable en cela à Guillaume II et à son maître d’œuvre Ihne. Au fond, ce baroque décadent ressemblait au style qui accompagna le déclin de l’Empire romain. Ainsi, sur le plan de l’architecture, tout comme dans le domaine de la peinture et de la sculpture, Hitler resta ancré dans le monde de sa jeunesse, celui des années 1880 à 1910, qui marquèrent son goût artistique et ses conceptions politiques et idéologiques de façon indélébile.
Ces inclinations contradictoires étaient chez lui caractéristiques : il professait bien haut son admiration pour les maîtres viennois qui avaient marqué sa jeunesse de leur empreinte, mais pouvait dans le même élan déclarer : « C’est seulement chez Troost que j’ai appris ce qu’est l’architecture. Quand j’ai eu un peu d’argent, je me suis acheté de ses meubles les uns après les autres, j’ai vu ce qu’il avait construit, étudié la décoration de l’ Europa et j’ai toujours été reconnaissant au destin qui, en la personne de M me Bruckmann, m’a permis de rencontrer ce maître. Quand le parti a eu plus de moyens, je l’ai chargé de transformer la « Maison brune » et d’en faire la décoration. Vous l’avez vue vous-même. Quelles difficultés j’ai eues à cause de cette commande ! Ces petits-bourgeois de membres du parti la trouvèrent trop dispendieuse. Et pourtant, que n’ai-je appris là du professeur ! »
Paul Ludwig Troost était un Westphalien de haute taille, élancé, le crâne rasé. Réservé dans la conversation, économe de ses gestes, il faisait partie d’un groupe d’architectes où on trouvait aussi Peter Behrens, Joseph M. Olbrich, Bruno Paul et Walter Gropius. Par réaction contre le style ornemental du Jugendstil, ils défendaient tous une architecture économe de ses moyens et dépouillée à l’extrême. Dans cette tendance, un traditionalisme Spartiate se fondait avec des éléments du plus pur moderne. Troost avait certes obtenu à l’occasion quelques succès dans des concours, mais n’avait, avant 1933, jamais réussi à percer et à faire partie du groupe de tête.
En réalité, il n’y eut jamais un « style du Führer », même s’il en était abondamment question dans la presse du Parti. Ce qui fut déclaré architecture officielle du Reich, ce fut simplement le néo-classicisme que Troost avait introduit et qui fut ensuite diffusé, transformé, exagéré jusqu’à devenir caricature ridicule. Hitler appréciait dans le style néo-classique les éléments intemporels, et cela d’autant plus qu’il crut même avoir trouvé dans la colonne dorique quelques points de contacts avec son monde germanique. Il serait pourtant erroné de chercher chez Hitler un fondement idéologique à sa stylistique architecturale. Cela ne correspondait pas à sa forme de pensée, uniquement pragmatique.
Il ne fait pas de doute que Hitler avait une intention bien précise en m’emmenant régulièrement à Munich participer à ses entretiens avec l’architecte. Il est évident qu’il voulait faire de moi un disciple de Troost. J’étais tout disposé à apprendre et j’ai réellement appris beaucoup de choses chez Troost. Par son architecture à la fois riche et sobre, dans la mesure où elle se limitait à des éléments formels simples, mon second maître a exercé sur moi une influence décisive.
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