Au Coeur Du Troisième Reich
que m’adressait Troost, il ne dit pas un mot : vraisemblablement, je n’étais pas encore à ses yeux l’architecte tel qu’il se le représentait.
Tous les quinze ou vingt jours, Hitler allait à Munich ; de plus en plus souvent il m’emmenait avec lui. Dès son arrivée, il se rendait directement de la gare à l’atelier du professeur Troost. Dans le train déjà, il s’interrogeait sur les dessins que le professeur pourrait avoir terminés : « Le plan du rez-de-chaussée de la « maison de l’art », disait-il avec une vivacité qui trahissait son impatience, aura vraisemblablement été modifié. Il fallait y apporter quelques améliorations… Aura-t-il déjà fait des projets pour les détails de la salle à manger ? Nous pourrons peut-être voir les esquisses pour les sculptures de Wackerle. »
L’atelier était situé dans la Theresienstrasse, non loin de la Haute École technique, dans une arrière-cour laissée à l’abandon. Il fallait monter deux étages dans une cage d’escalier qui n’avait pas été repeinte depuis des années ; Troost, conscient de son rang, ne venait jamais dans l’escalier à la rencontre de Hitler et ne le raccompagnait pas non plus jusqu’en bas. Hitler le saluait dans le vestibule en lui lançant : « Monsieur leprofesseur, je ne peux plus attendre. Montrez-moi vite ce qu’il y a de nouveau. » Et sans attendre de réponse, nous étions déjà, Hitler et moi, dans l’atelier, où, réservé et sûr de lui comme toujours, Troost nous montrait plans et esquisses. Mais le premier architecte de Hitler n’avait pas plus de chance que je n’en eus plus tard, car Hitler laissait rarement paraître son enthousiasme.
Ensuite M me Troost, qui s’occupait de la décoration des salles du Führerbau de Munich, présentait des échantillons d’étoffes et de peintures murales dans une gamme de couleurs aux accords discrets et raffinés, beaucoup trop discrets à vrai dire pour Hitler, dont le goût allait plus vers la recherche d’effets violents. Mais cela lui plaisait. L’atmosphère du bon ton bourgeois, alors à la mode dans la riche société, lui agréait manifestement par son luxe discret. Deux heures ou plus s’écoulaient ainsi. Puis Hitler prenait congé d’une phrase brève mais toujours très cordiale et, alors seulement, pensait à aller chez lui. Mais il prenait encore le temps de me dire : « A l’Osteria, pour déjeuner. »
A l’heure habituelle, vers deux heures et demie, j’allais à l’ « Osteria Bavaria », un petit restaurant d’artistes qui acquit une renommée inattendue, en devenant le rendez-vous préféré de Hitler. On se serait attendu à y trouver un groupe d’artistes portant cheveux longs et barbe imposante, faisant cercle autour de Lenbach ou de Stuck, plutôt que Hitler et son entourage à la mise correcte ou aux uniformes stricts. Il se sentait bien à l’Osteria. Lui qui n’avait jamais pu devenir artiste, il aimait visiblement ce milieu où il avait jadis essayé d’entrer et qui désormais lui échappait définitivement alors même qu’il le dépassait.
Le cercle restreint d’invités qui attendait Hitler, parfois des heures durant, comptait un aide de camp, le Gauleiter de Bavière, Wagner, si toutefois il avait réussi à s’arracher au sommeil de l’ivresse, son photographe Hoffmann naturellement, qui l’accompagnait toujours et partout et qui parfois commençait déjà à cette heure-là à être légèrement ivre, la très sympathique Lady Mitford, qu’on voyait très souvent, et un peintre ou un sculpteur, de loin en loin. On y trouvait encore le chef du Service de presse du Reich, le D r Dietrich, et un personnage totalement insignifiant, le secrétaire de Rudolph Hess, Martin Bormann. Des centaines de personnes attendaient dans la rue, car notre présence suffisait à leur prouver qu’ « il » viendrait.
Des acclamations frénétiques dehors nous annonçaient son arrivée : bientôt, en effet, il se dirigeait vers notre coin, séparé du reste de la salle par une paroi à mi-hauteur. S’il faisait beau, nous avions notre table dehors dans la petite cour, sous une espèce de tonnelle. Hitler saluait le patron et les deux serveuses en leur adressant un jovial : « Alors, qu’est-ce qu’il y a de bon aujourd’hui ? des ravioli ? si encore ils n’étaient pas si délicieux. La tentation est trop grande ! Tout serait si bon chez vous, monsieur Deutelmoser, disait Hitler
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