Au Coeur Du Troisième Reich
ce que nous pouvons faire ! Le Führer sera également d’accord avec cette solution. » Hitler, qui, dans les cas désagréables, tentait toujours d’éviter la confrontation, n’osait pas me convoquer et me dire ouvertement qu’il tirait les conséquences qui s’imposaient et qu’il se voyait contraint de me donner un congé. Poussé par la même crainte, il n’essaya pas non plus l’année suivante, lorsque nous en fûmes arrivés à la rupture, d’obtenir mon départ. Rétrospectivement il me semble qu’il était sans doute possible d’exciter la mauvaise humeur de Hitler à un point tel que cela pût entraîner le renvoi. Quiconque restait dans son entourage immédiat le faisait en tout cas volontairement.
Quelles qu’aient été mes motivations, l’idée de me retirer me plaisait assurément. Car tous les jours je pouvais voir dans le ciel bleu du sud les signes avant-coureurs de la fin de la guerre quand, partant de leurs bases en Italie et volant à une altitude tellement faible qu’elle en était provocante, les bombardiers de la 15 e flotte aérienne américaine passaient les Alpes pour venir attaquer les centres industriels allemands. Pas de chasse dans le ciel, pas de tirs de D.C.A. Le tableau qu’offrait cette absence totale de défense était plus impressionnant que tout reportage. S’il avait été possible jusqu’à présent de remplacer les armes perdues dans les retraites militaires, je pensais avec pessimisme que cela ne pouvait pas durer bien longtemps face à cette offensive aérienne. Qu’y avait-il de plus tentant que de profiter de la chance offerte par Göring et de ne pas se trouver à un poste de responsabilité lors de la catastrophe désormais imminente, mais de disparaître en silence ?L’idée d’abandonner mon poste pour contribuer à accélérer, par la fin de ma collaboration, la fin de Hitler et du régime ne m’effleura pas, malgré toutes nos divergences de vues, et ne me viendrait pas non plus dans une situation semblable.
Mes idées de fuite furent remises en question dans l’après-midi du 20 avril par la visite de mon plus proche collaborateur, Rohland, car l’industrie avait eu vent de mon intention de démissionner et Rohland était venu pour m’en dissuader. « Vous n’avez pas le droit de livrer l’industrie, qui vous a suivi jusqu’à ce jour, à ceux qui vous succéderont. On imagine ce qu’ils seront. Notre progression future dépend de la réponse à la question suivante : Comment notre potentiel industriel indispensable pourra-t-il être maintenu pour l’époque qui suivra une guerre perdue ? C’est pour cela que vous devez rester à votre poste ! » Je me souviens que pour la première fois le spectre de la « terre brûlée » surgit devant mes yeux, lorsque Rohland poursuivit en évoquant une terrible éventualité : la direction du parti pourrait ordonner, par désespoir, de procéder à des destructions arbitraires. Ce jour-là je sentis naître un sentiment qui ne dépendait pas de Hitler et qui ne concernait que le pays et le peuple : celui d’une responsabilité encore vague et ressentie confusément.
Quelques heures après seulement, en pleine nuit, vers une heure du matin, le maréchal Milch, Saur et le D r Frank vinrent me voir. Ils s’étaient mis en route en fin d’après-midi et arrivaient directement de l’Obersalzberg. Milch était chargé de me transmettre un message de Hitler : il me faisait savoir l’estime en laquelle il me tenait et combien il souhaitait que nos relations restent inchangées. Le ton était presque celui d’une déclaration d’amour qui n’était due, comme je l’appris vingt-trois ans plus tard de la bouche de Milch, qu’à l’instigation pressante de celui-ci. Quelques semaines auparavant seulement, j’aurais été à la fois touché et heureux d’être ainsi distingué par Hitler. Maintenant, en revanche, je déclarai à la lecture de la déclaration de Hitler : « Non, j’en ai assez ! Je ne veux plus entendre parler de tout cela 14 ! » Milch, Saur et Frank insistèrent. Je me défendis longtemps. Certes je trouvais le comportement de Hitler détestable et invraisemblable, mais je ne voulais plus cesser mon activité de ministre, depuis que Rohland m’avait fait entrevoir ma nouvelle responsabilité. Je ne cédai qu’au bout de plusieurs heures, à une condition : Dorsch serait à nouveau placé sous mes ordres et la situation préexistante serait
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